Les jumeaux numériques de bassins versants

Interview vidéo de Frédéric HENDRICKX, ingénieur chercheur et expert en Hydrologie.

Un jumeau numérique de bassin versant a pour objectif de fournir une représentation numérique de la ressource en eau à l’échelle de ce bassin versant.

L'eau, une ressource précieuse au cœur de l'engagement de la R&D d'EDF (Frédéric Hendrickx, Ingénieur-chercheur expert)
Durée : 4:29

Capture écran videau jumeaux numériques

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Pour vous permettre d'accéder à l'information, nous vous proposons de consulter la vidéo L’eau : une ressource précieuse au coeur de l’engagement de la R&D d’EDF dans un nouvel onglet.

[Frédéric Hendrickx, ingénieur-chercheur expert à la R&D d’EDF, présente les apports des jumeaux numériques de bassins versants pour anticiper les évolutions de la ressource en eau et accompagner les décisions opérationnelles et stratégiques dans un contexte de changement climatique.]

L’eau : une ressource précieuse au coeur de l’engagement de la R&D d’EDF

Question : Quels sont les apports des jumeaux numériques de bassins versants, développés par la R&D d’EDF, pour la gestion de la ressource en eau en France ?

Frédéric Hendrickx : Le premier avantage du jumeau numérique de bassin versant, ça va être la capacité à avoir la vue complète de l’ensemble des circulations de l’eau dans le bassin versant et de compléter l’information disponible pour avoir la vision exhaustive dans le temps et dans l’espace de cette ressource, à la fois dans les processus naturels mais aussi dans la gestion faite par les hommes de cette ressource.

Le deuxième niveau, c’est l’usage qu’on fait du jumeau. C’est à la fois un ensemble de données et de modèles. En tout cas, cela a été mis ensemble pour répondre à différentes questions. La question traitée n’est pas une question unique. On est à la fois sur des questions qui traitent au diagnostic mais aussi au pronostic. Nous, ce que l’on a aujourd’hui, c’est de bien comprendre l’ensemble de cette ressource en eau et de son utilisation dans le passé. C’est le mode de diagnostic. Et le mode pronostic, c’est comment on va regarder l’évolution possible de ce bassin-là sur des horizons différents.

La première application sera sur les prévisions à court terme où on est plutôt sur : alimenter la décision opérationnelle des gestionnaires. Et la deuxième application, c’est quand on va se projeter à des horizons fin de siècle où on va plutôt s’intéresser à des décisions stratégiques sur l’évolution de la ressource dans le contexte de changement climatique et aussi la question de la vulnérabilité des usages vis-à-vis de cette évolution de la ressource, c’est-à-dire à quel moment chacun aura toujours la quantité d’eau nécessaire à son utilisation.

Question : Quelles sont les utilisations concrètes de ces simulations ?

Frédéric Hendrickx : On a par exemple sur notre bassin un peu pilote, qui est le bassin de la Loire, une interrogation sur la capacité à maintenir des écoulements dans le lit de la Loire moyenne à partir d’ouvrages hydrauliques qui sont gérés par l’Etablissement Public Loire. La question que l’on a c’est qu’on va faire évoluer la ressource au travers de nos outils de simulation, tenant compte des hypothèses de changement de climat que nous fournissent les experts du GIEC, et on va regarder dans quelle mesure on va arriver à satisfaire des débits objectifs sur le lit de la Loire moyenne à partir des ouvrages hydrauliques. 

La question c’est : est-ce qu’on aura toujours suffisamment d’eau dans ces barrages ? Est-ce qu’on les aura bien remplis au printemps et est-ce qu’ils auront la quantité suffisante pour garantir le débit minimum qu’on veut assurer et qui est utilisé par l’agriculture ou les centrales nucléaires de production d’électricité ?

Le deuxième exemple : je prends toujours notre bassin pilote qui est le bassin de la Loire. On est sur une prévision court terme. On est le gestionnaire qui s’interroge sur la quantité d’eau à lâcher dans la rivière pour garantir un débit minimum. Là, il a besoin de prévisions fiables, à la fois sur la ressource naturelle, celle qui va alimenter le cours d’eau et aussi sur les prélèvements qui vont être faits par les différents usagers. 

Cette prévision-là, on peut l’assurer avec le jumeau numérique qui va bénéficier de l’alimentation en données observées. Il va les assimiler pour mettre à jour son état interne et produire des prévisions de qualité qui vont alimenter directement les décisions opérationnelles du gestionnaire.

Question : Et si on se projette plus loin ?

Frédéric Hendrickx : J’ai beaucoup illustré la dimension quantitative qui est celle qui nous préoccupe aujourd’hui. Mais la gestion de la ressource, ce n’est pas juste une question de quantité, c’est aussi une qualité de cette ressource pour qu’elle soit utilisable par les différents usagers. Ce qu’on va ajouter dans un futur qu’on espère pas trop loin, c’est toute la dimension physico-chimique de la ressource. C’est-à-dire pour le nucléaire, la température de l’eau va être importante.

Pour les milieux aussi, ce sera une dimension importante. Mais on va aussi regarder toutes les dimensions : concentration en nitrate, phosphore, etc. Qui alimentent toute la biomasse des cours d’eau et qui peut agir sur l’évolution de la qualité de la ressource.

Question : Quelles sont les ambitions pour les jumeaux numériques de bassins versants ?

Frédéric Hendrickx : Il y a une ambition qu’on a côté EDF, c’est celle de proposer une vision agrégée à l’ensemble de grands territoires de cette question de la ressource et de son partage entre les différents usagers. La démarche que l’on engage aujourd’hui, elle vise à être faite en propre uniquement par EDF, mais elle va aussi se développer avec des partenaires scientifiques. Au premier lieu, l’HYDRAE, qui est un partenaire historique d’EDF sur ces questions. C’est aussi des résultats ou des applications du jumeau que l’on souhaite partager avec l’ensemble des acteurs des territoires, de manière à se préparer à la question de l’adaptation face à l’évolution fort probable à la baisse de la ressource en eau dans les territoires.  

L’eau et le nucléaire

Portrait de Céline BOUTELEUX, ingénieur chercheur et chef de projet senior au LNHE (Laboratoire National d’Hydraulique et Environnement) au sein de la R&D d’EDF.

Portrait de Céline Bouteleux

Présentez-vous en quelques mots

Je suis Céline Bouteleux, ingénieur chercheur et chef de projet senior au LNHE à la R&D d'EDF. Après un doctorat en chimie et microbiologie de l'eau et des expériences dans des laboratoires renommés comme le CNRS ou l'INSERM, j'ai choisi de mettre mes compétences au service de l'industrie, en me focalisant toujours sur le traitement de l'eau et les circuits hydrauliques. C'est ensuite au sein du LNHE d'EDF que j'ai trouvé ma place en tant qu'ingénieur chercheur.

En quoi consistent vos missions au quotidien ?

Aujourd'hui, ma principale mission au sein de la cellule R&D consiste à piloter le projet « Traitement d'Eau et Environnement 2025 » dont l'objectif général est de rechercher les technologies et procédés de traitement de l'eau innovants à mettre en œuvre sur les circuits d'eau et les effluents pour limiter l'impact sur l'environnement des centrales nucléaires tout en maintenant voir améliorant leur performance.

Quels sont les principaux défis liés à l'eau dans le contexte des centrales nucléaires ?

L'eau est cruciale pour la production nucléaire notamment pour le refroidissement de ses équipements. Or, sous l'effet du changement climatique, la ressource en eau s'amenuise et il y a un risque de dégradation de la qualité de l'eau. Une quantité moindre d'eau signifie une capacité de dilution réduite pour les rejets anthropiques ; une eau plus chaude contient moins d'oxygène dissous, ce qui peut amplifier les phénomènes d'eutrophisation.

Aussi, le premier défi est de s'assurer de l'adaptation de nos installations et de leur fonctionnement sous changement climatique, dans un contexte de raréfaction de la ressource en eau et de tensions croissantes entre les différents usages, tout en assurant la sûreté des installations.

Le deuxième défi, même si une grande majorité de l'eau prélevée par les centrales est restituée au milieu naturel (+ de 97 %), est de ne pas exercer de pression supplémentaire sur une ressource déjà contrainte en termes de quantité et de qualité d'eau.

Cela nécessite donc de trouver des solutions visant à minimiser les prélèvements et consommations d'eau, mais aussi des solutions pour que l'eau qu'on restitue au milieu naturel soit de la meilleure qualité possible (effluents chimiques et thermiques).

Quels sont vos travaux en cours dans ce domaine ?

Les travaux de R&D sont nombreux sur cette thématique, cherchant des solutions innovantes pour améliorer la gestion des circuits dans nos centrales nucléaires. La totalité des actions de recherche menées dans le projet que je pilote répond à ce sujet et se concentrent sur trois principaux axes :

  • Identifier les possibilités de réutilisation et d'économie des ressources, en eau ou en substances chimiques, dans le but de réduire l'empreinte environnementale ; il s'agit de rechercher des solutions de sobriété : comment moins prélever, moins consommer et réutiliser l'eau ?
  • Optimiser le fonctionnement des circuits de refroidissement, afin de réduire l'encrassement pour une performance accrue et le développement de micro-organismes pour maîtriser les risques sanitaires. Cela implique la recherche de solutions biocides et anti-encrassement innovantes et respectueuses de l'environnement.
  • Identifier et évaluer les technologies innovantes de traitement des effluents liquides pour minimiser les rejets de substances chimiques et radiochimiques dans l'environnement.

Pouvez-vous nous donner des exemples concrets d'outils opérationnels ?

La R&D œuvre à une cartographie des flux d'eau en centrales nucléaires, au cœur du programme de sobriété en eau, et initiée cet été sur la centrale de Golfech. Son objectif est de quantifier les différents flux d'eau (domestique, industrielle, de refroidissement, pluviale) afin de réduire la consommation globale. Cette étape cruciale pour la préservation de la ressource nécessite une connaissance précise des prélèvements, consommations et rejets en eau, souvent difficiles à évaluer. Cette démarche, amorcée en 2023, sera étendue aux autres centrales dès 2024-2025, grâce à une collaboration entre la R&D et la DPN.

Autre exemple phare, nous étudions aujourd'hui un procédé innovant permettant de récupérer une partie de l'eau contenue dans les panaches des tours de refroidissement. Ce procédé breveté par une startup américaine (« Infinite Cooling ») émanant du MIT, est fondé sur un mécanisme d'ionisation des gouttelettes à l'intérieur de l'aéroréfrigérant. Il permettrait de récupérer entre 5 et 15 % de l'eau évaporée. Ce procédé, encore en cours de développement, sera testé sur le banc MISTRAL (unité expérimentale permettant historiquement de qualifier les nouveaux corps d'échange « packings » des aéroréfrigérants) de la centrale de Bugey courant 2024 pour vérifier ses performances et évaluer la faisabilité technique d'installation d'une telle technologie au sein des systèmes de production.

Infographie présentant « Infinite Cooling », le système de récupération de l'eau des aéroréfrigérants

Quel aspect de votre travail vous enthousiasme le plus ?

Ce qui me fait vibrer le plus, c'est d'apporter des réponses concrètes à des questions spécifiques, avec un souci d'application opérationnelle rapide. La diversité des sujets et des interactions est une source constante d'apprentissage.

Piloter un projet diversifié et faire le lien entre la recherche et son application industrielle est une satisfaction majeure. Contribuer, à ma mesure, à minimiser l'impact environnemental d'EDF est une source de motivation quotidienne.

Et pour aller plus loin…

Découvrez en vidéo, les résultats d’une étude d’impact environnementale menée sur la Loire et le Rhône, effectuée grâce aux modélisations développées par la R&D d’EDF.

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Pour vous permettre d'accéder à l'information, nous vous proposons de consulter la vidéo Étude des impacts cumulés sur le linéaire de la Loire et du Rhône et focus sur les apports R&D dans un nouvel onglet.

[Karine Perche, cheffe adjointe de département à la DIPDE d’EDF, Raphaël Lamouroux et Yann Guénand, ingénieurs-chercheurs à la R&D d’EDF, présentent les résultats d’une étude sur les impacts cumulés des installations nucléaires le long de la Loire et du Rhône. Grâce aux modèles numériques développés par la R&D, l’étude confirme l’absence d’incidence notable sur l’environnement et la santé humaine, confortant les constats issus de la surveillance environnementale.]

Étude des impacts cumulés sur le linéaire de la Loire et du Rhône et focus sur les apports R&D

Karine Perche : En France, tous les dix ans, un examen approfondi de nos centrales nucléaires est réalisé pour déterminer les conditions dans lesquelles nos sites nucléaires vont pouvoir poursuivre leur exploitation pour dix années supplémentaires. À l’occasion du quatrième réexamen de nos réacteurs de 900 mégawatts, l’autorité de sûreté nucléaire a émis des prescriptions. L’une de ces prescriptions portait sur la demande faite à EDF de réaliser une étude sur l’incidence potentielle sur la santé humaine et l’environnement du cumul de nos installations le long de la Loire et du Rhône.

Raphaël Lamouroux : L’idée pour nous, c’était de venir représenter les cumuls des rejets des CNPE. Quand on parle de cumul, on peut penser au cumul des rejets thermiques. Donc là, on va regarder la température des cours d’eau. On peut aussi penser au cumul des rejets chimiques ou radiologiques. Et ici, c’est la concentration dans l’environnement qui va nous intéresser.

Yann Guénand : On a mobilisé des codes numériques qui ont été développés côté R&D pour représenter la courantologie du Rhône et de la Loire où on vient décrire les caractéristiques hydro-morphologiques de ces cours d’eau et également les dynamiques d’apports aux cours d’eau qui vont être d’une part, les apports naturels par les affluents et d’autre part, les rejets des centrales nucléaires.

Karine Perche : L’étude intègre deux approches complémentaires, une approche qualitative basée sur des résultats issus de la surveillance environnementale en place sur chacun de nos sites et une approche quantitative basée sur l’analyse des calculs issus de la modélisation réalisé par la R&D d’EDF. L’ensemble des données a permis d’alimenter le modèle créé par la R&D, qui constitue une pièce centrale de l’étude cumul Loire et Rhône. La conclusion essentielle de cette étude, c’est la confirmation de l’absence d’incidence négative notable associée à nos rejets liquides sur l’environnement et la santé humaine.

C’était bien sûr ce que nous constations, au travers de la surveillance environnementale mise en place sur nos CNPE depuis de nombreuses décennies mais cette étude a permis de conforter ces constats en arrivant à la même conclusion par le biais d’une méthodologie différente.

Raphaël Lamouroux : L’innovation pour R&D vient de l’échelle à laquelle on a regardé le problème. Elle vient de la capacité à avoir assemblé des outils qui représentaient individuellement les activités des CNPE et aujourd’hui, on arrive à avoir une photo globale qui permet de représenter cet impact-là à l’échelle du bassin versant.

Yann Guénand : Cela, c’est permis par une finesse de maillage de nos modèles de 50 mètres à peu près et des temps de calcul inférieurs à l’heure. Donc ça nous permet d’avoir quelque chose de plus fin par rapport à des approches qui étaient plus englobantes, avec des moyennes plutôt annuelles.   

Infographie représentant la répartition de la consommation de l'eau en France

La gestion de l’eau et l'impact sur la biodiversité

Rencontre avec Véronique Gouraud, ingénieur chercheur senior à la R&D d'EDF.

Portrait de Véronique Gouraud

Pourquoi la ressource en eau, sa disponibilité comme sa qualité, ont un impact significatif sur la biodiversité ?

Dans le contexte de changement climatique, cette question cruciale est plus que jamais d'actualité. La R&D développe des actions visant à limiter l'impact des aménagements de production d'électricité sur les écosystèmes. Pour cela, comprendre les mécanismes reliant les conditions hydrologiques, hydrauliques et thermiques aux évolutions des organismes est essentiel et nécessite non seulement une vision locale, mais également une vision à l'échelle des bassins versants.

Parmi les risques écologiques inhérents à la production d'électricité, l'incidence de la restitution des débits à l'aval des aménagements hydroélectriques et l'incidence du réchauffement de l'eau par les rejets thermiques des centrales nucléaires sont des thématiques de recherche traitées à la R&D d'EDF depuis les années 70-80. Il est nécessaire d'une part de garantir un débit minimum pour préserver les habitats des organismes, de limiter les impacts des restitutions brutales de débit et d'autre part de veiller à la qualité de l'eau restituée à l'aval des aménagements. Réglementairement, des seuils de débit minimum et des seuils thermiques doivent notamment être respectés pour préserver le bon état écologique des écosystèmes.

La quantité d'eau prélevée, restituée et la manière dont elle est gérée conditionnent fortement les conditions d'habitats pour les organismes vivants, qui ont des besoins spécifiques en termes de hauteur d'eau, de vitesse, d'abri et de substrat. Cet habitat hydraulique, et sa qualité physico-chimique (comprenant la température, l'oxygénation et les concentrations de substances chimiques) sont directement influencés par le débit du cours d'eau et jouent un rôle clé sur l'état de la biodiversité. Les périodes de reproduction et de développement des jeunes organismes sont des phases particulièrement sensibles à la variation de ces paramètres.

De quels indicateurs disposons- nous pour mesurer l'impact sur la biodiversité ?

La R&D, en collaboration avec des partenaires académiques, analyse la réponse des organismes aux variations des paramètres du milieu. Des suivis hydrobiologiques sont effectués sur le terrain, à l'amont et à l'aval des aménagements afin d'examiner l'évolution des communautés en fonction des conditions environnementales, notamment l'habitat, le débit et la température. L'analyse de ces suivis, souvent réalisée avec des outils innovants (comme des modèles de dynamique de populations de poissons, des approches statistiques bayésiennes ou des analyses de tendances d'évolution), révèle une complexité importante. Les réponses des effectifs sont influencées par divers facteurs, tant naturels qu'anthropiques. À l'aval des barrages, les crues, par exemple, ont un impact significatif en « réinitialisant » les abondances des organismes. Les conditions thermiques affectent également la survie à différents stades de développement. La disponibilité d'abris et de caches dans les cours d'eau joue également un rôle prépondérant. À l'aval de certaines centrales hydroélectriques, « dites à éclusées » des variations de débits sont générées par le turbinage pour répondre aux pics de consommation d'électricité. Une modulation appropriée de ces restitutions d’eau (en terme de débit de base, de gradients de montée et de descente…) peuvent permettre de réduire la dérive, le piégeage ou l'échouage des organismes et les pertes d'habitat qu’elles génèrent.

La compréhension de ces mécanismes nécessite de disposer de suivis répliqués dans le temps et dans l'espace. La multiplicité des facteurs influant sur les communautés rend, en effet, complexe l'identification de chaque élément en jeu. Face au manque général de données de biodiversité disponibles pour évaluer l'efficacité des mesures de restauration ou de gestion des débits mises en œuvre, il est essentiel de poursuivre et d'élargir ces suivis.

Néanmoins, les suivis hydro-écologiques réglementaires des centrales nucléaires réalisés depuis leur construction dans les années 80-90 permettent d'étudier l'évolution des écosystèmes aquatiques des grands fleuves français sur ces 40 dernières années. L'augmentation progressive de la température de l'eau, la réduction des débits des fleuves, la forte réduction de l'eutrophisation engendrent des changements dans les communautés biologiques. Une forte diminution de l'abondance du phytoplancton est observée. Des changements profonds dans les stratégies écologiques des espèces d'invertébrés et de poissons sont également constatés.

Pouvez-vous nous citer des exemples d'outils déployés par la R&D d'EDF ?

La récolte et l'analyse des données de suivis des organismes et de leurs habitats constituent un socle pour développer des outils opérationnels permettant de caractériser et réduire l'impact écologique des aménagements.

Les besoins spécifiques des espèces en termes de hauteur d'eau, de vitesse et de conditions de température ont, par exemple, pu être quantifiés. Cela a permis de développer des outils pour simuler l'habitat pour différentes espèces et stades de développement en fonction du débit d'eau délivré en aval des installations hydroélectriques.

  • Un exemple concret est la plateforme HABBY, développée en partenariat avec l'INRAe et l'OFB (Office Français de Biodiversité), qui couple des modèles hydrauliques pour simuler l'évolution des conditions de hauteur et de vitesse en fonction des débits avec les préférences hydrauliques des espèces.
  • Autre exemple la R&D se penche également sur la question des chasses, soit l'évacuation des sédiments des barrages lors de forts débits. La méthode d'évacuation influe sur les concentrations de matière en suspension, suivies lors de ces opérations de façon à maîtriser leurs impacts. Les équipes cherchent à déterminer quels seuils de concentration amènent une réponse des différentes espèces (déplacements). Des suivis sont réalisés pour identifier ces seuils. On évalue aussi les éventuels risques pour les espèces en fonction de la durée de la chasse et de la concentration. Tout cela vise à affiner les recommandations de gestion.
  • Par ailleurs, la R&D élabore des modèles de dynamiques de population pour évaluer l'état des populations de poissons dans les tronçons à l'aval des barrages où l'eau est prélevée et est en quantité moindre qu'en milieu naturel. Une interface web, dénommée DYPOP, a été développée pour diagnostiquer l'état de fonctionnement des populations de truite et est mise à disposition de tout utilisateur souhaitant réaliser ce diagnostic.
  • En plus des études locales, des travaux sont entrepris pour évaluer les risques liés aux éclusées et à la réduction du débit à l'échelle d'un bassin versant. Des cartes sont utilisées pour évaluer ces risques pour chaque tronçon en aval des centrales hydroélectriques. Ce travail a été réalisé en partenariat avec l'Agence de l'eau Rhône Méditerranée Corse.

En résumé, les suivis hydrobiologiques constituent une base précieuse pour comprendre les mécanismes mis en œuvre et permettent de développer des outils servant à proposer des mesures de gestion adaptées.

EXPLORE 2, c’est quoi ?

Un portail qui donne accès à des connaissances sur l’impact du changement climatique sur l’hydrologie. Porté par l’INRAE et par l’Office National de l’Eau, le projet rassemble de nombreux acteurs actifs dans le domaine de l’hydrologie et du climat en France : Météo-France, BRGM, ENS, Sorbonne Université, IRD, CNRS et EDF. Son objectif, communiquer des informations clés pour accompagner les acteurs des territoires dans la compréhension des résultats et pouvoir adapter leurs stratégies de gestion de la ressource. Dans le cadre de ce projet la R&D d’EDF développe des jumeaux numériques de bassin versant qui propose une représentation de la ressource naturelle et de l’activité des hommes à l’échelle de ce bassin.

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Pour vous permettre d'accéder à l'information, nous vous proposons de consulter la vidéo Projet Explore 2 dans un nouvel onglet.

[Eric Sauquet, directeur de recherche en hydrologie à l’INRAE, et Frédéric Hendrickx, ingénieur-chercheur expert en hydrologie à la R&D d’EDF, présentent le projet Explore 2. Ce programme scientifique, réunissant plusieurs partenaires dont EDF, actualise les connaissances sur l’impact du changement climatique sur la ressource en eau et propose des projections hydrologiques jusqu’à la fin du siècle pour accompagner les territoires dans leur adaptation.]

Le projet Explore 2 porté par l’INRAE et par l’Office international de l’eau s’inscrit dans la suite d’un précédent projet baptisé Explore 2070.

Eric Sauquet : Ce nouveau projet a été officiellement lancé en juin 2021 et s’achève pendant l’année 2024. Le projet Explore 2 réunit un consortium scientifique porté par l’INRAE et rassemblant de nombreux acteurs actifs dans le domaine de l’hydrologie et du climat en France. Il s’agit de Météo-France, du BRGM, de l’ENS, de Sorbonne Université, de l’IRD, du CNRS et d’EDF.

Cofinancé par le ministère de la Transition écologique et l’Office français de la biodiversité, Explore 2 a l’objectif d’actualiser les connaissances sur l’impact du changement climatique sur l’hydrologie, mais aussi d’accompagner les acteurs des territoires dans la compréhension de ces résultats pour adapter leurs stratégies de gestion de la ressource.

Concrètement, l’ensemble des résultats sera mis à disposition sur un portail de service hydroclimatique dédié à l’eau. Cette mise à disposition est inédite. Ainsi, les chroniques de débit journalier, des indicateurs faisant sens pour la gestion de l’eau dans les territoires, seront téléchargeables sur près de 4000 points positionnés uniformément sur l’ensemble du territoire métropolitain.

Frédéric Hendrickx : EDF dispose d’une modélisation hydrologique qui s’appelle MORDOR. On dispose de deux versions de cette modélisation. La première version est dite semi distribuée. Elle a des qualités de mise en oeuvre qui ont permis de la déployer sur l’ensemble de la France et sur un ensemble de points d’intérêts du projet Explore 2. Et on a aussi une deuxième version dite spatialisée qui, elle, est appliquée à un territoire plus petit qui est le bassin de la Loire et qui vise à produire une hydrologie haute définition, c’est-à-dire y compris dans des points où on ne dispose pas d’observation de débit.

L’ensemble de ces deux modélisations est utilisé dans le cadre du projet Explore 2, et sert à faire des projections de ressources en eau jusqu’à la fin du siècle sur plus de 200 trajectoires du futur du climat.

Ces projections contribuent, avec les autres équipes qui sont présentes dans le consortium, à des exercices d’analyse d’incertitudes sur le futur de la ressource en eau. EDF R&D développe des jumeaux numériques de bassin versant. L’objectif de ces jumeaux, c’est de compléter la démarche du projet Explore 2, qui modélise la ressource naturelle. Ce que l’on recherche à faire dans les jumeaux numériques de bassin versant, c’est d’avoir vraiment la représentation de la ressource naturelle et de l’activité des hommes autour de cette ressource.

Pour cela, on va développer un ensemble d’indicateurs de pression sur la ressource ou analyser des vulnérabilités soit d’accession à la ressource par les usages, soit de capacité à maintenir des débits minimums dans les cours d’eau pour les besoins des usages, mais aussi pour les besoins des milieux.

Les premiers résultats indiquent clairement les évolutions à la baisse de la ressource avec des difficultés potentielles à garantir des débits objectifs dans les cours d’eau. Ces premiers résultats, il nous semble aujourd’hui, chez EDF, qu’il est important de les partager avec l’ensemble des acteurs du territoire et d’engager assez rapidement la réflexion sur les questions de l’adaptation par rapport à la question de l’eau.