Pour préserver la faune nocturne, la R&D d’EDF utilise un outil de modélisation des réseaux écologiques pour localiser les zones de pollution lumineuse sur les sites EDF. Cette compréhension de l'intégration du site dans la trame noire locale ouvre la voie à des mesures de réduction des impacts ciblées et efficaces (adaptation de l'éclairage, optimisation temporelle, corridors d'obscurité).
La biodiversité nocturne en guerre contre les éclairages
Dans les villes tout comme sur des sites industriels, la pollution lumineuse est une réalité qui nuit à des milliers d’animaux nocturnes et entravent leurs déplacements.
Face à ce constat, le concept de « trame noire » émerge comme une solution prometteuse pour y remédier. À l'image des trames vertes et bleues qui protègent les corridors terrestres et aquatiques, la trame noire vise à préserver des réseaux d'obscurité connectés, véritables autoroutes nocturnes indispensables à la survie de nombreuses espèces.
![]()
La lumière artificielle nocturne crée des barrières invisibles qui fragmentent l'habitat des espèces nocturnes, compromettant leurs déplacements, leur reproduction et leur survie.
![]()
Les activités d'EDF, comme beaucoup d'infrastructures industrielles, nécessitent des éclairages nocturnes pour éviter les intrusions et assurer la sécurité. Ces éclairages peuvent impacter la faune locale. Pour mieux comprendre et réduire ces effets, EDF missionne sa R&D pour une étude sur le site de Blénod.
La technologie au service de la biodiversité
Cette étude utilise Graphab, un logiciel de modélisation avancé développé par le CNRS, pour cartographier avec précision l'impact de la pollution lumineuse sur les déplacements de la faune nocturne. C'est la première fois que cet outil est utilisé pour analyser l’effet de la pollution lumineuse sur la connectivité paysagère de quatre espèces aux besoins si différents :
- Crapaud commun
- Hérisson d’Europe
- Grand rhinolophe
- Pipistrelle commune
Graphab fonctionne à partir d’une carte d’occupation du sol où chaque élément du paysage se voit attribuer un coefficient de friction, représentant la difficulté pour une espèce étudiée de le traverser. En tenant compte de ces résistances, le logiciel calcule les chemins de moindre coût reliant les zones favorables (patchs d’habitat). Ces liens sont ensuite intégrés dans un réseau écologique, où les habitats sont reliés par ces chemins. Le modèle prend aussi en compte les capacités de déplacement propre à chaque espèces, ce qui permet de limiter ou pondérer les connexions possibles. Enfin, Graphab fournit différentes métriques pour analyser la connectivité et identifier les zones à enjeu ou des barrières dans le paysage.
Avec cela, on peut par exemple étudier l’impact de la pollution lumineuse : une première approche consiste à superposer une couche de pollution lumineuse afin de mettre en évidence des zones de conflit, c’est-à-dire des endroits où les corridors écologiques croisent des zones éclairées, potentiellement défavorables aux déplacements. Une seconde méthode, plus fine, consiste à pondérer les coefficients de friction selon l’intensité lumineuse : un milieu faiblement éclairé conserve une résistance proche de son état initial, tandis qu’un milieu fortement exposé devient beaucoup plus coûteux à traverser pour les espèces sensibles, et au contraire moins coûteux pour celles attirées par la lumière. Cette approche permet ainsi de mieux représenter l’influence de l’éclairage sur leurs déplacements. Elle nécessite toutefois de disposer de données fines sur le comportement des espèces face à la lumière : certaines la fuient, tandis que d’autres peuvent y être attirées.
Les résultats de cette modélisation innovante révèlent des zones à forts enjeux écologiques où l'impact de la pollution lumineuse s'avère particulièrement critique.
En effet, une zone au nord du site de Blénod en fait partie : les néons blancs y diffusent une lumière intense dans toutes les directions, créant une barrière très impactante pour la faune nocturne.
Néons blanc qui éclairent la barrière de protection du Centre Post Exploitation de Blénod.
Le hérisson, indicateur de santé nocturne
L'analyse montre que le Hérisson d'Europe est l'espèce la plus affectée par la fragmentation lumineuse sur le foncier EDF. Cette découverte est d'autant plus significative que le hérisson joue un rôle d'espèce parapluie : les mesures prises pour le protéger bénéficieront automatiquement à l'ensemble des autres espèces nocturnes du site.
![]()
Protéger les corridors et les habitats du hérisson, c'est préserver tout un écosystème nocturne.
![]()
Vers des solutions concrètes
Cette compréhension de l'intégration du site dans la trame noire locale ouvre la voie à des mesures de réduction des impacts ciblées et efficaces :
- Adaptation de l'éclairage : remplacement des néons blancs par des solutions moins impactantes.
- Optimisation temporelle : extinction programmée pendant les pics d'activité de la faune.
- Corridors d'obscurité : préservation de zones non éclairées pour maintenir la connectivité.
Validation terrain en cours
Une étude de terrain initiée en 2025 permettra de mesurer l'efficacité réelle de ces mesures sur l'activité de la faune nocturne. Cette approche scientifique garantit que les actions entreprises produiront des résultats concrets pour la biodiversité.
Cette étude dite BACI (Before After Control Impact) consiste à suivre l’activité de la faune sur les zones éclairées du site sur lesquelles la lumière sera réduite mais également sur un témoin qui n’a jamais été éclairé et qui restera ainsi. Ce suivi se fait avec des pièges photographiques et des enregistreurs à ultrason.
Les chercheurs ont déjà pu observer de la biodiversité sur le site industriel : 10 espèces de mammifères (chat forestier, blaireau, renard...) et 9 espèces de chauves-souris (Pipistrelle commune, Grand Rhinolophe…).
Blaireau européen (Meles meles) et Renard roux (Vulpes vulpes) observé sur le site de Blénod
Un modèle pour l'avenir
Cette initiative de Blénod illustre parfaitement comment l'innovation technologique peut servir la préservation de la biodiversité. En combinant modélisation avancée et engagement environnemental, cette approche ouvre la voie à une gestion plus respectueuse des écosystèmes nocturnes.
L'impact au-delà du site
Les enseignements de cette étude dépassent largement le cadre du site EDF. Ils constituent une méthode réplicable pour tous d’autres sites soucieux de réduire leur impact sur la biodiversité nocturne.
Cette étude pionnière illustre comment la science et la technologie peuvent éclairer nos choix pour mieux préserver l'obscurité dont dépend une part essentielle de la biodiversité. Dans un monde de plus en plus lumineux, préserver la nuit devient un enjeu majeur pour l'avenir de nos écosystèmes.