Le Font d'Orveau, propriété d’EDF située en bordure de la centrale nucléaire de Civaux, fait l’objet d’un plan de gestion écologique qui vise entre autres à restaurer la biodiversité du site, notamment sur une ripisylve actuellement envahie de peupliers. Face à un cas concret où la réhabilitation de la biodiversité ne rime pas toujours avec l’optimisation carbone, les experts de la R&D sont entrés en jeu. L’objectif ? Evaluer l’impact de la gestion de la peupleraie du Font d’Orveau sur le stock de carbone, mais aussi comparer les méthodologies.
Une ripisylve envahie de peupliers, une espèce non native
EDF (la Division de l'Ingénierie du Parc et de l’Environnement / DIPDE et le CNPE de Civaux) collabore actuellement avec le Conservatoire des Espaces Naturels (CEN) de Nouvelle-Aquitaine et le Centre Permanent d'Initiatives pour l'Environnement (CPIE) Val de Gartempe, sur le projet de biodiversité et de territoire du Font d’Orveau (30 ha de foncier EDF). Dans ce cadre, l’interlocutrice du CEN Nouvelle-Aquitaine a identifié la présence de peupliers sur le terrain, une espèce « non native » qu'elle conseille de couper pour que les espèces natives telles que le frêne ou l'aulne puissent repeupler la zone naturellement. Or, ce sont environ 600 peupliers qui seraient concernés par cette opération et leur abattage affecte potentiellement le stock de carbone* du site. Dans ce contexte, la DIPDE et la DIPS (Division Programmes et Stratégie) de la DPNT ont sollicité l’appui de la R&D, et plus particulièrement les experts impliqués dans le projet CACTUS.
*Le stock de carbone est la quantité de carbone mesurée à un instant donné.
Un triple objectif pour le projet
Piloté par EIFER, ce projet fait partie du projet CACTUS (Séquestration CArbone, fonCier et soluTions natUrelleS), qui explore des moyens de maintenir et de renforcer la capacité de la nature à capter et stocker du carbone. L'objectif de la mission à Civaux est triple :
- Analyser l'impact de la coupe forestière envisagée sur le stock de carbone.
- Proposer des solutions adaptées permettant de répondre à la fois aux enjeux de biodiversité et à ceux de la séquestration carbone.
- Utiliser et comparer plusieurs méthodes de mesure de carbone afin de déterminer les marges d'erreurs pour les futures études.
Une première phase d'analyses en 2024
En 2024, les experts de la R&D ont pu effectuer des mesures selon deux méthodes communément utilisées pour mesurer le stock de carbone des arbres :
- la dendrométrie, méthode de mesure manuelle de la quantité de biomasse à partir du diamètre et de la hauteur des arbres. Cette méthode repose sur l'échantillonnage et doit être faite manuellement avec deux outils de mesure : un compas forestier pour la hauteur et un dendromètre pour le diamètre. Ce type d'analyse dure généralement plusieurs jours ou semaines en fonction de la superficie étudiée. Il a fallu 5 jours à la R&D pour mesurer les 600 arbres répartis sur presque 1 hectare.
- la mesure du carbone à l'aide d’un outil basé sur le traitement d'images aériennes prises lors d'un survol d'une zone spécifique, ce qui permet d'obtenir une estimation générale. Malheureusement, cette méthode très rapide (quelques heures) ne permet pas de distinguer les espèces, surtout dans des peuplements mélangés.
À l'issue de ces mesures les équipes ont identifié quatre zones différentes et ont commencé à élaborer des scénarios pour montrer l'impact de la coupe des peupliers sur le stock de carbone.
Une analyse au LIDAR en 2025
En 2025, EIFER, en collaboration avec l'Université Libre de Berlin (FUB), a réalisé plusieurs scans à l'aide d'un LIDAR terrestre sur une surface d'un hectare. Le LIDAR est un laser qui permet de mesurer très précisément la biomasse, en prenant en compte chaque branche et en distinguant les espèces. Bien que très fiable, cette méthode est également très longue et fastidieuse : 5 jours pour couvrir un hectare de forêt, puis plusieurs mois d'analyses. Les résultats des relevés effectués en mars dernier sont attendus d'ici la fin de l'année.
La comparaison des résultats entre les trois méthodes permettra de déterminer les marges d'erreur des mesures réalisées lors de l'utilisation des deux méthodes usuelles (dendrométrie et outil de traitement des images aériennes). Les modèles pourront ensuite être utilisés pour de futurs relevés sur les autres sites.
Concilier biodiversité et carbone, un enjeu important pour EDF
Ce projet constitue une réelle opportunité de rassembler des experts de divers horizons afin de concilier les enjeux carbone et biodiversité au sein d’un même site.
Cette ambition de concilier enjeux carbone et biodiversité avec la production d’électricité décarbonée est une action phare de la feuille de route biodiversité nucléaire 2024-2027. La R&D a ainsi apporté à DIPDE un appui précieux pour le déploiement de ses ambitions.
Le peuplier, un arbre mal aimé ?
Arbre à croissance rapide appartenant au gendre des Populus, le peuplier apprécie particulièrement les sols humides, voire inondés, qu’il a tendance à coloniser rapidement. Il joue ainsi souvent un rôle de précurseur dans ces zones, préparant le terrain pour d’autres espèces : ses racines permettent d’épurer l’eau (et consomment le trop-plein lors d’inondation ou de crue si nécessaire), ses feuilles apportant de la matière organique dans les sols … Comme il se reproduit rapidement, à la fois par ses graines et par ses drageons (rejets à partir de racines souterraines), son développement demande une surveillance maitrisée.
Avec son bois blanc léger et tendre, il a également quelques usages intéressants, notamment dans l’emballage (cagettes, barquettes, bourriches …) ou pour faire des panneaux de contreplaqué. Mais sa sensibilité aux champignons et à la reprise d’humidité limite ses usages, notamment en énergie ou en bois d’œuvre à plus haute valeur ajoutée.
Crédit photos : EIFER