Au cœur de la transition énergétique, les batteries sont bien plus qu’un simple composant : elles sont une des clés pour rendre les réseaux électriques flexibles et fiables. EDF vise 17 GW de stockage à l’échelle mondiale et s’appuie sur des décennies de recherche pour anticiper les technologies les plus prometteuses. Dans cet entretien, Laurent Torcheux, chercheur sénior et expert Groupe- Fellow dans le domaine du stockage d'énergie par batteries au sein du département des Laboratoires et Matériels Électriques de la R&D d’EDF, nous explique les enjeux, les défis et les perspectives de cette filière stratégique.

Laurent Torcheux est expert Groupe - Fellow dans le domaine du stockage d'énergie par batteries. Fellow est un titre qui reconnaît les plus hauts référents techniques au sein du groupe EDF.

EDF travaille sur les batteries depuis longtemps. Laurent, peux-tu nous rappeler les origines de cette expertise ?

L’implication d’EDF dans la recherche et le développement des batteries ne date pas d’hier. Historiquement, nous avons concentré nos efforts sur les systèmes de secours électrique pour nos installations, notamment les centrales nucléaires. Dans ce contexte, la présence de batteries est essentielle en cas d’arrêt potentiel de l’alimentation extérieure. Cette expérience a permis de créer des laboratoires dédiés et d’accumuler une connaissance approfondie des technologies existantes.

Les batteries plomb-acide sont toujours présentes dans le nucléaire. Pourquoi ne pas les remplacer par du lithium ?

Les batteries plomb-acide, bien qu’anciennes, ont fait leurs preuves. Elles sont robustes, fiables et parfaitement adaptées aux exigences de sécurité des centrales. Les nouvelles centrales sont toujours conçues avec cette technologie éprouvée. Bien sûr, la R&D continue d’étudier des évolutions pour des applications spécifiques, mais la maturité et le retour d’expérience restent des atouts majeurs.

Quand EDF a-t-elle commencé à s’intéresser aux batteries lithium-ion ?

Avec l’émergence des véhicules électriques, déjà autour des années 90 et plus récemment en 2005-2010. Nous avons collaboré avec les constructeurs automobiles pour tester les premières générations de batteries lithium-ion. Cette expérience a été cruciale pour comprendre les dynamiques de cette technologie et anticiper son potentiel.

Aujourd’hui, les batteries sont aussi utilisées pour la flexibilité des réseaux. Comment EDF s’y prépare ?

Dès 2010, nous avons acquis notre première batterie stationnaire en conteneur pour des tests sur la plateforme Concept-grid sur notre site d’EDF Lab les Renardières (77). Depuis, nous travaillons à identifier les meilleures technologies pour répondre aux besoins de flexibilité, en France et à l’international. Les batteries lithium-ion actuelles évoluent avec des améliorations incrémentales, mais nous explorons aussi des voies de rupture, comme les batteries semi-solides pour le stationnaire, qui offrent des gains en sécurité et en performances. Nous travaillons également en partenariat rapproché avec de grands industriels du secteur et des organismes tels que l’Ineris et au sein du RSEE (Réseau académique Français du stockage électrochimique). Nous sommes aussi impliqués dans de nombreux projets européens sur les technologies de batteries et leur gestion avancée.

Et pour le stockage longue durée ?

Pour des décharges au-delà de quelques heures, nous étudions les technologies « flow » et « métal-air ». Par exemple, des prototypes fer-air sont en test actuellement. Ces solutions utilisent des matériaux peu coûteux et sont adaptées à des cycles longs qui nécessitent moins de puissance. Nous explorons aussi des alternatives au vanadium redox flow, trop dépendant du vanadium, un métal rare et coûteux, en testant des chimies alternatives.

La seconde vie des batteries automobiles est-elle une solution pour le stationnaire ?

C’est séduisant, mais complexe. Le démantèlement, la recalibration et l’incertitude sur l’historique rendent le processus coûteux et risqué. Pour l’instant, il est souvent plus pertinent de prolonger leur usage dans la mobilité. Cependant, la future réglementation européenne avec le « passeport batterie » pourrait changer la donne en apportant une traçabilité complète.

Quels sont les autres défis à relever ?

La filière doit répondre à des enjeux cruciaux : souveraineté technologique, recyclage, sécurité, origine des matériaux et traçabilité. EDF s’intéresse aussi à l’hybridation des centrales thermiques avec des batteries, comme le projet de Blénod qui couple une batterie lithium-ion avec un CCG (Cycle Combiné Gaz), ce type de projets devraient se multiplier. Les batteries sont désormais au cœur d’un écosystème énergétique en mutation.

Quel est le rôle de la R&D d’EDF dans tout cela ?

Nous ne fabriquons pas de batteries à EDF. Notre rôle est d’évaluer, tester et anticiper. Nous réalisons des audits avec les directions métiers, des prélèvements et des tests de vieillissement accélérés pour créer des jumeaux numériques des batteries qui sont mises en service sur le terrain. Cela nous permet de prévoir la durée de vie, la maintenance et d’identifier tout risque de sécurité. Cette démarche garantit la fiabilité et la performance des systèmes déployés.

Les batteries sont devenues un vecteur de flexibilité pour EDF, bien au-delà de la mobilité. Elles sont indispensables pour la flexibilité des réseaux et la transition énergétique. Grâce à son expertise historique et à sa capacité d’anticipation, la R&D d’EDF joue un rôle clé pour sécuriser l’avenir énergétique.

FAQ – Tout savoir sur les batteries et la stratégie d’EDF