Penser autrement le véhicule autonome
Quelle sera la place d’un énergéticien comme EDF dans le monde des véhicules autonomes ? Le Design Lab de la R&D d’EDF apporte sa pierre à une réflexion qui engage de nombreux métiers du Groupe. Étienne Vallet, designer, nous explique comment.
Comment est né ce projet ?
EDF a lancé un projet de recherche sur le véhicule autonome en 2019 en se demandant comment le sujet interpelle un énergéticien comme EDF. Au Design Lab, nous avons décidé de mener une étude exploratoire. C’est ce que nous appelons un projet « corporate », qui ne répond pas directement à ce stade à une commande particulière des métiers du groupe EDF.
Sur quoi réfléchissez-vous ?
Le sujet pose beaucoup de questions sur la façon de recharger les véhicules, de les connecter au réseau électrique, d’utiliser la batterie pour stocker de l’électricité et alimenter d’autres circuits. Elle pose également la question du niveau d’automatisation de ces véhicules. Afin d’avancer sur ces nombreuses questions, nous avons commencé par regarder les différents secteurs dans lesquels le véhicule autonome présentait un intérêt en termes de services. Nous en avons identifié trois a priori : la logistique, les robots taxis en centre-ville et le domaine rural et périurbain. Nous avons décidé de nous concentrer cette année sur ce troisième aspect encore peu étudié. Le milieu rural et périurbain pose beaucoup de questions de mobilité, car c’est un espace où les transports en commun sont difficiles à mettre en place. C’est une étude très exploratoire afin d’imaginer ce que cette technologie pourra permettre dans les dix ans à venir.
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Concrètement, qu’étudiez-vous ?
Nous avons commencé par étudier le sujet du véhicule autonome en lisant beaucoup de documents, en regardant différentes prises de paroles. Nous nous sommes rendu compte que la dimension rurale interpellait mais qu’elle n’était pas au centre des préoccupations. Pourtant, elle pose la question du rééquilibrage des territoires. Une fois que nous avons capté ces signaux faibles, nous sommes retournés voir le chef de projet en lui proposant de creuser cette piste.
Depuis septembre 2020, nous réalisons une enquête de terrain. Comme nos bureaux sont en milieu périurbain et proche de la campagne, nous avons rencontré une vingtaine de personnes pour leur poser des questions sur leurs pratiques de mobilité mais également sur plein d’autres sujets. Ces entretiens nous fourniront la matière première pour émettre un certain nombre d’hypothèses sur le véhicule autonome, ses usages possibles et la place d’EDF sur le sujet.
Quelle est l’originalité de votre approche ?
Nous avons une approche très qualitative. Nous ne sommes ni des ethnologues, ni des anthropologues, nous sommes à l’intersection de beaucoup de compétences. En parallèle, nous essayons toujours de rendre palpable ce qu’on imagine, de le rendre tangible à travers des maquettes, des prototypes, des images de synthèse. Nous avons déjà prévu de construire une carte où seront représentées les personnes interrogées, leurs trajets, leurs moyens de déplacements.
Ensuite, nous élaborerons des hypothèses à plus long terme. Pour cela, nous utiliserons peut-être des scénarios sous forme de petites fictions, en y associant éventuellement des images, des vidéos, en créant un univers visuel illustrant chaque scénario. Afin de rendre le sujet tangible et concret, nous allons nous appuyer sur certains objets iconiques. Nous allons imaginer des bornes de recharge, des véhicules autonomes qui pourraient avoir plusieurs fonctions… Je vois très bien un véhicule se transformant simplement en commerce de proximité pour la vente de produits locaux par exemple. Puis, nous organiserons une réunion avec nos collègues de la R&D avec ces éléments. L’intérêt est de leur apporter des éléments qui suscitent le débat, qui les engagent, parfois même émotionnellement.
Étienne Vallet : à la fois designer et ingénieur
Pour Étienne Vallet, l’un des fondateurs du Design Lab de la R&D d’EDF, le design confronte la conception d’un objet ou d’un service à toutes sortes de paramètres, techniques, sociétaux, environnementaux, économiques, esthétiques… Il revient sur son parcours et ses projets.
De l’esthétique à l’utile
Au cours de ses études, Étienne Vallet a toujours eu besoin d’autonomie mais également de compréhension concrète de ce qu’on lui enseigne. « J’y ai découvert le stylisme, l’architecture, l’architecture d’intérieur, le graphisme… Très vite j’ai compris que les aspects volume et esthétique m’intéressaient et j’ai poursuivi en BTS de création industrielle à Paris. »
À l’issue de deux ans de formation, il est embauché dans une agence de communication où il dessine alors des produits dans les domaines de la cosmétique et du luxe… « C’était frustrant. Mes idéaux humanistes en ont pris un coup, même si j’ai beaucoup appris sur la société de consommation. » Retour sur les bancs de l’école à l’École Nationale supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD), qui lui offre un vaste terrain de liberté. « Nous avions beaucoup de moyens, mais on pouvait aussi s’y perdre. Cela m’a permis de me construire, de comprendre ce qui m’animait. » Grâce à une année en Erasmus en Finlande, il découvre une culture du design « très simple, centrée sur l’utilité, la rationalité, mais également en résonance poétique avec la nature. »
Ces années d’études lui laissent cependant un sentiment de frustration : « j’avais envie d’aller vers l’utilité des choses, de concevoir des objets et des projets ayant un minimum d’impact sur l’environnement, mais mes connaissances étaient limitées. » Il se lance donc dans un mastère en éco conception au Centre National des Arts et Métiers (CNAM). « C’était intéressant de travailler sur ces sujets dans une école d’ingénieur, cela m’a permis de rééquilibrer les choses, dans un pays où la conception passe quasi exclusivement par l’ingénierie, à la différence de l’Italie ou des pays scandinaves qui valorisent beaucoup plus le design. »
Rencontre avec les designers de la R&D d’EDF
En 2007, diplômé d’un mastère en management environnemental et éco conception, il visite l’exposition So Watt ! à la Fondation EDF. « Ce fut une révélation, on y présentait des projets de design liés à l’énergie. Le commissaire de l’exposition était Stéphane Villard, designer à la R&D d’EDF depuis 10 ans. J’ai écrit une lettre de candidature spontanée et quelques mois plus tard, j’ai été appelé et je suis entré à la R&D d’EDF fin 2009, nous étions 4 designers. »
Aux sources du Design Lab
Chacun a alors son périmètre et ses activités, en appui à l’ingénierie technique. « J’ai travaillé sur les pompes à chaleur. Notre rôle était de mettre les choix techniques des chercheurs au défi en nous projetant dans une dimension industrielle, tout en prenant en compte le futur utilisateur : Quels composants utiliser et comment les organiser à l’intérieur de cette usine miniature qu’est la pompe à chaleur ? Comment maintenir un niveau de bruit minimal ? Comment améliorer l’intégration des pompes à chaleur aux bâtiments ? Comment en faciliter l’installation ? »
« Le design est une discipline de conception qui tente de faire la synthèse entre des paramètres techniques, sociétaux, environnementaux, économiques, esthétiques, philosophiques… ». Fort de cette conviction, Étienne participe au montage du Design Lab. « Dans une entreprise comme EDF, véritable temple de l’ingénieur et de la technique, les designers doivent faire leurs preuves en permanence. L’existence du Design Lab est déjà une reconnaissance importante. Au cours des années, de plus en plus de collègues nous font confiance et nous participons à des projets de plus en plus exploratoires et stratégiques. »
Un quotidien bien rempli
Outre ses projets comme celui sur le véhicule autonome qui l’occupe cette année, Étienne Vallet pilote l’activité générale du Design Lab au quotidien. « Je suis responsable de l’exploitation : je veille à la sécurité, au matériel, j’assure le pilotage d’une partie des activités et du budget. »
Livre de chevet
« Je suis en train de lire un livre sur Richard Buckminster Fuller, un grand utopiste du XXe, c’est passionnant. Mais j’aimerais également citer un essai qui m’a marqué : « Le nouvel esprit du capitalisme » écrit par deux sociologues, Ève Chiapello et Luc Boltanski, qui analysent la faculté du capitalisme à absorber toutes les critiques et à se régénérer. »
Œuvre d’art
« J’ai été marqué par ma visite au Havre et par l’équilibre que dégage la cité reconstruite après la guerre par Auguste Perret. »
L’objet design par excellence
« L’IPhone : c’est une forme de design total, tant en tant qu’objet, qu’interface, que couche logicielle… et qui a un impact majeur sur nos vies… Tout y est pensé dans les moindres détails. »