Le Legal Design fait son entrée à EDF
Comment rendre les documents juridiques plus lisibles ? Le groupe EDF a décidé de mobiliser le Design Lab pour plancher sur le sujet. Les premiers résultats sont en test, comme nous l’explique Louis Charron, designer en charge du projet.
Vous travaillez le Legal Design, de quoi s’agit-il ?
Le Legal Design consiste à mobiliser la philosophie et les techniques du design pour rendre les documents juridiques plus accessibles, notamment aux non experts.
Comment est né ce projet ?
Les documents juridiques du groupe EDF sont utilisés par beaucoup de personnes, dont la plupart ne sont pas juristes. Ce sont des documents ardus, difficiles à appréhender, ce qui fait perdre du temps aux équipes et engendre des frustrations. Fin 2019, deux juristes en charge de la modernisation du service juridique nous ont contactés pour nous demander de les rendre plus lisibles. C’est une démarche très novatrice à EDF et dans le monde des entreprises en général. Mais c’est un travail énorme qui concerne de nombreux documents. Nous avons donc choisi de travailler sur un premier document : les clauses de confidentialité, qui sont utilisées aussi bien par les chercheurs quand ils collaborent avec d’autres entreprises que par les services commerciaux quand ils discutent par exemple avec des startups.
Concrètement, comment ça se passe ?
Nous avons commencé par nous acculturer sur le sujet, par comprendre d’où viennent ces informations juridiques, leur finalité, etc. Puis nous avons passé du temps avec sept personnes de différentes directions pour bien comprendre leur façon de les utiliser. Nous avons ensuite fait un travail d’analyse et nous avons proposé des pistes d’amélioration. Nous les avons testées avec un deuxième petit groupe de personnes, que nous avions réuni en février 2020. Nous avons travaillé le vocabulaire, l’organisation du document en mettant toutes les informations importantes au début par exemple. Nous avons ajouté des définitions, des bulles, des graphiques... Les réactions collectives des participants à cette deuxième session de travail nous ont permis de faire évoluer le document que nous avons soumis à différents comités de direction, qui l’ont validé. Depuis début juin, la nouvelle version est en test à l’échelle du groupe.
Et ensuite ?
Grâce aux retours que nous aurons à la fin de l’expérimentation nous peaufinerons la version finale, qui devra être à nouveau validée avant d’être largement diffusée.
Mais nous commençons déjà à travailler sur un autre document pour la Fondation EDF : les contrats avec les artistes. Un nouveau projet tout aussi complexe et intéressant !
Les clauses de confidentialité d’EDF avant et après leur remaniement par le Design Lab (cliquez sur l'image pour agrandir).
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Une collaboration fructueuse, innovante, prometteuse et un co-apprentissage concret - pas à pas. À l’écoute des uns des autres puisque les contributions étaient fortement imbriquées avec la nécessité de mixer nouveau langage et nouveau visuel. Une collaboration fondée sur la poursuite de deux objectifs – sécurité juridique et clarté du design – a priori incompatibles.
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Faire comprendre la complexité avec Louis Charron
Afin de rendre habitable un monde de plus en plus complexe, nous avons tous besoin d’explications. C’est la mission que s’est donnée Louis Charron, designer au Design Lab de la R&D d’EDF.
Quel est votre parcours ?
Adolescent, je m’inventais des mondes, je me racontais des histoires. Après un BTS à l’École Boule en 2010, je suis entré en master à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD). Durant mon master, je me suis orienté vers le numérique et j’ai eu la chance de faire un échange avec l’Université Cornell aux États-Unis en 2014 où j’ai eu des cours sur la philosophie homme machine et le numérique, avec des professeurs formidables qui m’ont ouvert de nouveaux champs et qui ont forgé ma vision du monde. J’ai vraiment pris conscience de l’impact fondamental de ces nouvelles technologies dans nos vies. Mon projet de diplôme à l’ENSAD tentait d’expliquer des algorithmes comme ceux de Facebook, de Siri ou de Google par le design. Baptisé Alma, il matérialise des concepts complexes à travers des jeux sérieux (serious games), où alternent interfaces tangibles (des jetons) et virtuelles. Après l’école, j’ai eu envie de retourner aux États-Unis et j’ai eu la chance d’être pris au Senseable City Lab du MIT. Mon rôle était d’expliquer les travaux des chercheurs par le design, de raconter des histoires à partir de ces recherches complexes. Pendant 18 mois, j’étais un designer au milieu de chercheurs et j’ai mobilisé toutes sortes de supports : vidéo, images, textes, conférences... C’était passionnant.
À mes yeux, le rôle du designer est de rendre le monde plus habitable. Dans un monde de plus en plus complexe, cela consiste à rendre cette complexité plus accessible.
Comment êtes-vous arrivé au Design Lab ?
En rentrant de mon premier séjour aux États-Unis, j’avais effectué un stage de six mois au Design Lab de la R&D d’EDF. À l’époque, j’avais postulé car le laboratoire faisait de la prospective et ça me fascinait. Mon stage a porté sur la conception d’interfaces numériques, ce fut une première expérience très riche, tant du point de vue professionnel qu’humain. J’ai travaillé sur le design de l’interface d’une application mobile permettant aux personnes en situation de précarité énergétique de savoir à tout moment quelle était leur consommation électrique. Celle-ci leur était communiquée en kWh et en euros via un compteur connecté. C’était l’occasion de travailler sur un sujet qui pouvait avoir un impact pour plusieurs millions de personnes.
Quand je suis revenu de mon deuxième séjour, j’ai repris contact. J’ai défendu l’idée qu’il fallait que le Design Lab partage plus ses recherches. Mon expérience aux MIT m’avait montré l’importance de communiquer la recherche. Je travaille aujourd’hui à trois quart temps. Je garde une petite activité de freelance avec quelques clients.
Sur quoi travaillez-vous au Design Lab ?
La moitié de mon temps, j’aide mes collègues à communiquer sur leurs projets. J’ai travaillé sur la présentation du Design Lab sur le site edf.fr, je crée des supports de communication divers, je leur propose des outils pour faire connaître leurs travaux au sein d’EDF ainsi qu’à l’extérieur. Le monde du design et celui de la recherche nous connaissent trop peu. L’autre moitié de mon temps, je travaille sur différents projets. Je travaille par exemple sur la vulgarisation d’une étude prospective de la R&D sur la région Pays de la Loire en 2050. Notre mission est de rendre l’étude plus synthétique et plus impactante, accessible aux élus, aux associations, au grand public. Je travaille également en ce moment sur un autre projet dont je suis fier : le Legal Design. Il s’agit de rendre les documents juridiques du groupe EDF plus intelligibles par le plus grand nombre. Les deux aspects du design qui me passionnent sont la possibilité donnée aux gens de manipuler la complexité et la vulgarisation. Ici, j’ai la chance de pouvoir faire les deux !
Livre de chevet :
« Fictions de Borges, un recueil de nouvelles fantastiques qui posent de nombreuses questions sur notre monde actuel même s’il a été écrit en 1944. »
Œuvre d’art préférée :
« Je suis passionné par l’art génératif qui exploite l’intelligence artificielle et les réseaux de neurones pour créer des visuels surprenants. J’en fais également un peu car il existe des outils très simples comme RunawayML qui ne nécessitent pas de savoir écrire du code. »
L’objet qui résume le mieux le pouvoir du design :
« Incontestablement le smartphone et plus particulièrement l’iPhone. Bien sûr, cet objet n’a pu être conçu qu’en résolvant de nombreux problèmes d’ingénierie, mais son interface est fondamentale. C’est parce qu’elle est très réussie que nous l’utilisons. »