Le design pour penser aux métiers de demain : l’exemple du génie électrique

Les chercheurs du Design Lab de la R&D d’EDF aident le Groupe à réfléchir autrement aux sujets de demain. Une mission est en cours sur le génie électrique, menée par Franck Magné. Il nous explique la démarche des designers.

Pourquoi faire intervenir le Design Lab sur le génie électrique ?

L’étude que nous menons s’inscrit dans une orientation très actuelle du Design Lab vers les sujets de stratégie, à l’initiative de Guillaume Foissac et Étienne Vallet. La prestation consiste à éclairer des réflexions stratégiques portées par le Groupe ou par ses filiales avec les outils et la méthode du designer. 

Le groupe EDF a-t-il intérêt à se positionner sur le génie électrique, c’est-à-dire sur l’installation électrique dans des entreprises ou des immeubles ? Un cabinet de conseil mène une étude sur le sujet en analysant ses aspects économiques, les risques, etc. Notre intervention est totalement différente et complémentaire, nous apportons un autre regard nourri d’une observation des pratiques et techniques émergeantes, d’observations menées sur d’autres territoires, d’entrevues et interviews d’acteurs de l’ensemble de la filière et notamment ceux qui préparent son avenir. C’est une première dans le groupe de faire intervenir le design sur un sujet aussi stratégique. Le design se nourrit traditionnellement des évolutions sociétales, comportementales et des innovations techniques, en cela le contenu de la démarche fait partie de notre ADN.

Comment travaillez-vous sur le sujet ?

Nous sommes généralistes, cela permet un regard frais mais demande une acculturation préalable. Nous avons commencé par étudier la question du génie électrique. Nous sommes partis à la découverte des pratiques dans d’autres pays, nous avons dressé un panorama des innovations techniques dans le domaine, notamment du côté des bâtiments préfabriqués, de la construction automatisée. Nous avons ainsi découvert par exemple l’offre de Katerra, une startup californienne bien décidée à révolutionner le monde de la construction avec un modèle d’affaires révolutionnaire. Notre curiosité nous aide à dresser un panorama très ouvert d’évolutions possibles, de pratiques inspirantes. Nous avons passé du temps à interroger des personnes différentes pour nourrir notre réflexion, en interne à l’entreprise mais également en dehors du Groupe. Nous avons rencontré des formateurs au centre de recherche en génie électrique, aux Arts et Métiers. À l’Institut National des Sciences Appliquées de Strasbourg (INSA), nous avons discuté avec des spécialistes du BIM, le Building Information Management. L’intégration de la maquette numérique sera certainement un enjeu important dans les années à venir, car elle va permettre de générer des jumeaux numériques des bâtiments. Nous avons également fait un état des lieux des ressources mobilisables dans le Groupe et ses filiales.

Où en êtes-vous ?

Le projet a commencé en novembre 2019. Nous avons mené un premier travail d’analyse que nous avons restitué à la direction de la Stratégie d’EDF. Nous avons identifié des grandes tendances qui nous paraissent pertinentes : la digitalisation de l’industrie du bâtiment et des services, l’urgence de la résilience écologique, la raréfaction de la main-d’œuvre spécialisée, le développement des offres sur mesure sans engagement, l’électrification massive de l’industrie... Ces tendances peuvent nous inspirer à l’intérieur du Groupe. Va-t-on vers une automatisation du génie électrique ? N’y a-t-il pas la possibilité de développer une offre de formation 4.0 utilisant la réalité augmentée par exemple ? Devons-nous aller vers le développement du bâti hors site, c’est-à-dire de la construction de bâtiments en pièces détachées assemblées sur site, dans lesquelles le génie électrique pourrait être nativement inclus ?

Nous avons réalisé grâce au savoir-faire en terme de représentation graphique du Design Lab une cartographie éclairante sur l’étude et ses enseignements. Cela nous a fortement aidé à partager ces orientations avec nos commanditaires au niveau du groupe, sous forme d’une séquence de travail et échanges constructifs dont nous avons livré une synthèse.

Désormais cette étude joue son rôle d’éclairage, les orientations sont en discussion et peuvent déboucher sur une prestation d’accompagnement du DesignLab en fonction des orientations prises.

Equipe : Franck Magné, Aurélia Zarotti, Guillaume Foissac

Franck Magné imagine des objets vertueux et désirables

Le designer Franck Magné collabore depuis quinze ans avec le Design Lab de la R&D d’EDF. Se considérant avant tout comme l’avocat des usagers, il nous parle de son parcours, de ses missions et de ses coups de cœur.

Quel est votre parcours ?

J’ai grandi dans une famille d’artisans de la région toulousaine et très jeune, je profitais de l’atelier familial pour construire des jouets, des environnements de jeux. J’imaginais, je dessinais, je fabriquais toutes sortes d’objets. Mais le terme même de design m’était inconnu. Avant mon bac, je suis tombé sur une affiche faisant la promotion d’un BTS en esthétique industrielle à La Souterraine. J’ai postulé et j’ai été pris. J’ai ensuite poursuivi mes études à L’École Nationale de Création Industrielle – Les Ateliers (ENSCI) à Paris, après avoir passé deux ans au centre culturel français de Douala au Cameroun en tant que coopérant. Après l’école, j’ai lancé mon activité en indépendant, puis mon cabinet, le studio Franck Magné. J’ai travaillé sur des projets très éclectiques, autant en design produit, qu’en aménagement d’espaces ou en design d’interface au service de clients privés et institutionnels. Sensible à l’évolution des espaces publics, j’ai lancé en 2011 Objets Publics, une marque de mobiliers urbains 100 % fabriqués en France que je développe depuis avec mes partenaires industriels.

Pourquoi et comment en êtes-vous venu à collaborer avec la R&D d’EDF ?

Je suis engagé face aux problématiques environnementales et ai obtenu le prix d’éco-design de l’Ademe en 2002 pour une douche à économie d'eau nommée O. En 2005, la R&D d’EDF avait organisé un séminaire sur la thématique des services de demain qui réunissait une dizaine de designers. À la suite de cet appel, avec une collègue, nous avons développé Nestor, une solution de suivi de la consommation dont certains éléments ont été repris par la direction Commerce d’EDF. Ce fut ma première collaboration avec ce qui allait devenir le Design Lab. La thématique de l’énergie me touche, on est ici au cœur de l’actualité, d’enjeux géostratégiques, environnementaux, sociétaux... Il y a toute une nouvelle typologie d’objets à dessiner, à repenser de manière plus performante, moins encombrants, qui évoquent mieux leur fonction. Mais ces objets plus vertueux ne doivent pas demander plus d’effort, ils ne doivent pas être vus comme une privation, ils doivent rester désirables. C’est là que le design peut intervenir. Après 30 ans de surconsommation, le design nous aide à trouver le moyen de déplacer le propos, de prendre du plaisir ailleurs tout en étant plus vertueux. C’est assez précisément ce que je vis avec ma moto électrique. Certes, j’ai renoncé au rugissement du moteur, mais vous n’imaginez pas le bonheur de rouler en silence sur des routes forestières, en ayant tout simplement l’impression de glisser, c’est génial !

Sur quels sujets travaillez-vous ?

J’ai travaillé sur beaucoup de projets différents avec la R&D d’EDF et son Design Lab. Depuis fin 2019, cette collaboration est devenue encore plus régulière et j’y consacre plus de la moitié de mon temps. J’aimerais citer Puzzle E par exemple, qui est une famille d’objets à utiliser en parement de façade, faciles à installer, permettant de produire de l’électricité chez soi à partir du vent et du soleil via des capteurs photovoltaïques et piézoélectriques. Il a été présenté à la biennale de Saint Étienne en 2010. J’ai aussi participé en tant que soutien technique à un projet d’herbier énergétique imaginé par une styliste danoise, et réalisé l’aménagement de Batecom, le laboratoire d’électronique et d’informatique en gestion de l’énergie de la R&D d’EDF. En ce moment, je travaille sur un sujet plus stratégique pour le groupe : le génie électrique.

Quelle est votre œuvre d’art préférée ?

J’ai découvert Smart Money de Rudolf Bonvie à la FIAC il y a deux ans. Ce triptyque, visuellement très réussi, est en fait une cartographie du niveau de risque que les banques acceptent de prendre dans l’allocation de prêts en fonction de l’actualité (en fait, chaque carré correspond à une date et la couleur, verte ou rouge, illustre le niveau de risque). Dans un style totalement différent et beaucoup plus sensible, j’aime beaucoup les personnages de Jaume Plensa, dont les volumes sont dessinés grâce à une fine résille ce qui donne un effet de moirage étonnant.

Un bel exemple de design d’objet ?

J’ai beaucoup aimé le nouveau Fairphone 3, un smartphone européen, réparable, durable, socialement respectueux et désirable.

Une belle synthèse d’une approche hyper actuelle !