Gilles Boeuf

Gilles Bœuf

© Patrick Imbert/Collège de France

Tribune de Gilles Bœuf : Pouvons-nous survivre sans biodiversité ?

Janvier 2022

Gilles Bœuf est professeur émérite à Sorbonne Université, professeur consultant à AgroParisTech, président du centre d’études et d’expertises dédié au déploiement du biomimétisme en France, ancien président du Muséum national d’histoire naturelle, professeur invité au Collège de France.

Quelque part, à la fin de l'été 2019, démarrait dans la province du Hubei, en Chine, une épidémie nouvelle qui allait se changer en pandémie au début de l’année 2020.

Que penser de la crise sanitaire de la Covid-19 et surtout comment réagir afin qu’une telle catastrophe (en est-ce réellement une, comparativement à d’autres événements du passé ?) ne se reproduise pas ? Pourquoi avons-nous eu cette fois-ci de telles réactions ? Quels sont les liens entre l’occurrence de cette pandémie et les activités humaines, comme l’accélération du changement climatique ou l’effondrement de la biodiversité ?

« Ce sont nos comportements qui sont à changer profondément ! »

Pour le climat, il n’y en a pas directement : il nous faut incriminer la promiscuité d’espèces d’animaux vivants stabulés dans des conditions innommables sur les marchés chinois, ainsi que le nombre (plus de 100 000 !) effrayant de vols sur la Terre tous les jours et qui contribuent pour 3,5 % à l’accélération du changement et au réchauffement de la planète. Ce sont nos comportements qui sont à changer profondément ! Notre ennemi n’est pas le virus mais nous-mêmes !

Une des questions essentielles est aujourd’hui, alors que nous avons accepté en France et dans la plupart des pays européens de fortes restrictions de liberté d’activité et de déplacement, de savoir si nous sommes prêts aux mêmes « sacrifices » pour la limitation de l’amplitude du changement climatique. Sur le transport aérien, est-ce la fin des privilèges, ainsi que le signalait récemment Raymond Woessner ? Le libéralisme sur les prix et les coûts réels, en tenant compte des externalités, pose des interrogations déterminantes.

La chute de la biodiversité et l’effondrement du vivant sont encore précisés dans le dernier rapport du WWF Indice planète vivante après le rapport de l’IPBES produit le 7 mai 2019 suite à la réunion à l’Unesco à Paris de fin avril à début mai 2019. La nature décline globalement à un rythme sans précédent dans l’histoire humaine – et le taux d’extinction des espèces s’accélère –, provoquant dès à présent des effets graves sur les populations humaines du monde entier.

« Le virus se reproduit de nos fragilités... »

La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier. Une seule espèce est responsable de la pandémie de Covid-19 : la nôtre. Comme pour les crises climatiques et de la biodiversité, les récentes pandémies sont une conséquence directe de l’activité humaine, en particulier nos systèmes financiers et économiques mondiaux, fondés sur un paradigme limité qui valorise la croissance économique à tout prix. Nous avons donc aujourd’hui une fenêtre de courte durée pour surmonter les défis de la crise actuelle et éviter de semer les germes de futures autres. Saurons- nous en tirer parti ?

À quand la suppression de ces marchés d’animaux vivant dans des conditions immondes en Asie, l’arrêt de l’extirpation effrénée d’arbres et d’animaux dans tous les écosystèmes du monde y compris les forêts tropicales, la fin des seuils de renouvelabilité du vivant sur terre et en mer bafoués en permanence et systématiquement franchis, la fin du gaspillage et de la souillure perpétuelle de l’eau, la fin de la « roulette écologique » consistant à transporter tout, partout, et à déclencher les explosions d’espèces invasives et ces disséminations anarchiques de pathogènes de tous ordres, virus et bactéries ou autres micro-organismes, responsables de ces pandémies et de tant de souffrance ? Le virus se reproduit de nos fragilités...

« Quand cesserons-nous cette « myopie du désastre » ? »

En conclusion, le monde vivant est vieux de près de 4 000 millions d’années, il s’est formé à partir de ces premières cellules apparues dans l’océan ancestral, il a subi les pires crises imaginables et s’en est toujours sorti ; pour cela, il a dû en permanence s’adapter à des conditions extérieures changeantes. Mais pour s’adapter, il faut impérativement changer, ce que nous ne faisons toujours pas ! Quand cesserons-nous cette « myopie du désastre » ?

Trop de consumérisme, pas assez de sobriété : rappelons-le-nous en permanence, nous sommes fondamentalement eau, sels et cellules ! Inspirons-nous du vivant, qui accomplit tout avec une grande parcimonie d’énergie, qui ne s’auto-empoisonne jamais (il produit de redoutables substances mais sait les dégrader et a toujours un « acheteur » pour ses déchets), qui innove en permanence et pour tous. Nous avons besoin de la biodiversité pour survivre. Puisse un petit virus composé de seulement 15 gènes provoquer l’électrochoc collectif dont nous avons tant besoin...