La première étude nationale sur la qualité de l’air intérieur des bâtiments à usage professionnel est en cours d’achèvement, mais révèle déjà l’urgence pour les constructeurs à concilier enjeux énergétiques et sanitaires. Actuellement, la quête de performances énergétiques a tendance à éclipser la recherche d’air pur intérieur.

Selon l’OMS, 30 % des bâtiments des pays industrialisés seraient touchés par le syndrome du bâtiment malsain, défini en 1983 comme une combinaison de différents symptômes (céphalées, fatigue, irritation des yeux et des narines, sécheresse de la peau, troubles de concentration) affectant les personnes qui y travaillent. 

Mais en France, jusqu’à aujourd’hui, aucune campagne scientifique n’avait été menée pour affronter ce syndrome et mesurer la qualité de l’air intérieur des bâtiments professionnels. Ce sera bientôt chose faite : l’Observatoire de la Qualité de l’Air Intérieur (OQAI)1 est en effet en train d’achever la première étude française d’ampleur sur la qualité de l’air dans les immeubles de bureaux de plus de 50 personnes. 

« Nous ciblions 300 immeubles, un peu moins de 200 seront finalement enquêtés », remarque Corinne Mandin, responsable de la division expologie - qualité de l’air intérieur du Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB). « Nous nous sommes trouvés confrontés à une certaine frilosité chez les responsables d’entreprises, ce sujet restant encore méconnu ». Il est vrai qu’à l’heure où la maîtrise de la consommation d’énergie représente un défi pour la pérennité des entreprises, se soucier de savoir si l’air qu’on y respire est pur paraît anecdotique. À y regarder de près, rien de plus faux, cependant.

Effectuer des mesures concernant la consommation énergétique d’un bâtiment est désormais entré dans les usages des responsables d’entreprises. Les bénéfices à la clé sont tellement évidents. Mais à quoi peuvent bien servir des mesures sur la qualité de l’air intérieur ? « Les bénéfices sont aussi économiques », relève Corinne Mandin. Il suffit d’entrer dans le détail des frais de fonctionnement d’une entreprise pour le comprendre. « La masse salariale représente le poste le plus élevé. Il est supérieur à celui de l’énergie, par exemple. Il paraît logique de préserver le poste où l’on investit le plus gros budget. » 

Plus les salariés travailleront dans un environnement sain, moins ils développeront de maladies chroniques et plus ils seront efficaces. « Des études sur la qualité de l’air intérieur menées en Australie et aux USA ont obligé les gestionnaires d’entreprises à se rendre à l’évidence qu’il existait bien une relation de cause à effet entre la qualité de l’air, la santé des salariés et l’absentéisme au travail », souligne Corinne Mandin. 

Sans conduire forcément à la maladie, la qualité de l’air dans les bâtiments professionnels influe sur les performances cognitives. Chargé en CO2 ou en particules, il freine les capacités du cerveau « jusqu’à 20 % » affirme Alain Salmon, directeur du Développement et de l’Innovation chez Sopra Steria, une entreprise de service numérique. Et de raconter que lorsqu’il a besoin d’une concentration maximale, il choisit de s’installer dans son bureau situé dans le bâtiment GreenOffice à Meudon. « C’est un bâtiment à énergie positive (Bepos) où le système de ventilation particulièrement performant fait entrer régulièrement de l’air naturel. Comme le bâtiment jouxte une forêt, il est sain. La différence entre ma capacité de travail dans cet immeuble et celle dans mon autre bureau, situé, lui, dans une tour de la Défense où la ventilation est difficile à régler, est très nette. Je me sens beaucoup mieux et plus efficace dans le Bepos ». Quant aux réunions, elles sont, toujours de l’avis d’Alain Salmon, plus sereines dans le Bepos aussi car moins chargées en CO2 et donc en irritabilité. 

Vive les Bepos, alors !  Mais quelle stratégie adopter pour faire circuler un air aussi sain que possible dans des bâtiments de construction traditionnelle ? Ouvrir les fenêtres régulièrement ? Dans les bâtiments professionnels, notamment ceux de grande hauteur, c’est souvent impossible. Et quand ils se situent en bordure de routes au trafic important, c’est même déconseillé. Le renouvellement de l’air est donc conditionné à un système de ventilation. D’où la nécessité qu’il soit performant. « Les constructeurs immobiliers se focalisent tellement sur la consommation énergétique qu’ils rendent les bâtiments très étanches, plus faciles à chauffer mais, du coup, l’air a du mal à se renouveler », remarque Lionel Combet, ingénieur en qualité environnementale des bâtiments à l’ADEME en Bourgogne. Maîtrise de l’énergie et ventilation doivent donc aller de pair, le plus rapidement possible dans la construction ou l’équipement d’un bâtiment. Sinon, nous risquons d’arriver à ce type d’aberration constatée par Pierre Deroubaix, ingénieur qualité de l’air à l’ADEME : « Les systèmes de chauffage consomment de moins en moins d’énergie mais la ventilation représente 40 % de ces besoins de chauffage ». 

Nécessaire aussi pour qu’un système de ventilation tourne à plein régime : lui dédier une maintenance attentive. Quand les filtres ne sont pas changés régulièrement, les polluants captés finissent par être rejetés dans l’air intérieur. Alors ? « Pour protéger la qualité de l’air intérieur pur, il faut limiter les sources de pollution », recommande Lionel Combet. « Cela signifie notamment choisir des matériaux de construction, d’ameublement et décoration, ainsi que des produits d’entretien, qui contiennent le moins de polluants possibles ». Plus vite dit que fait : la dynamique vertueuse qui consiste à inciter les acteurs du bâtiment à utiliser des produits éco-labellisés n’est pas facile à mettre en place. C’est pourquoi l’ADEME a lancé un Appel à Manifestations d’Intérêts (AMI) pour identifier et soutenir des maîtres d’ouvrage souhaitant s’engager sur l’expérimentation de la méthode Manag’R dans le cadre d’opérations pilotes de construction neuve ou de rénovation globale2
Mais gageons que les résultats de l’étude OQAI, annoncés pour fin 2016, permettront de mieux faire reconnaître l’intérêt de respirer un air pur dans un bâtiment professionnel et d’intensifier les dispositifs pris en sa faveur. 

Mais quels sont les polluants qui rendent l’air intérieur irrespirable ? « Il existe trois grandes sources de pollution de l’air intérieur », expose Lionel Combet :

  • La pollution atmosphérique qui provient de l’extérieur : particules fines, pollens, pesticides, etc.
  • La pollution émise par le sous-sol lorsque celui-ci, contenant des hydrocarbures par exemple, a été mal dépollué. Ou lorsqu’il contient du radon. Chaque année, plusieurs milliers de morts seraient dus à ce gaz radioactif qui émane du sous-sol et provoque des cancers du poumon.
  • La pollution émise par les matériaux de construction et le mobilier via la colle, les peintures, etc. Un meuble composé de panneaux agglomérés peut diffuser du formaldéhyde (un gaz cancérigène) pendant près de 15 ans.

À ces trois types de pollution de l’air intérieur, il convient d’ajouter celles imputées à la vie humaine (CO2 provenant de la respiration) et aux activités professionnelles. Selon une étude de l'INERIS3, les ordinateurs, les imprimantes et les photocopieuses sont des émetteurs reconnus de polluants. Les imprimantes, notamment laser, émettent, lors de leur fonctionnement, des composés organiques volatils (COV), des particules fines et de l'ozone. 
Par ailleurs, l'utilisation de certains produits d'entretien, émetteurs de COV (alcools, éthers de glycol, cétones…), pourrait contribuer à provoquer des réactions chimiques diverses et potentiellement nocives. Ainsi, l'ozone, émis en quantité importante par les imprimantes et photocopieurs, peut réagir avec les terpènes issus des produits de nettoyage pour former des polluants secondaires tels que le formaldéhyde et les particules ultrafines. 

1 L’Observatoire de la Qualité de l’Air Intérieur (OQAI) est un programme de recherche qui existe depuis 2001. Il est placé sous la tutelle de plusieurs ministères (Logement, Écologie et Santé). Il est en lien avec plusieurs agences, comme l’Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire en charge de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). 
2 La date de dépôt de dossiers de candidature était le 22 février 2016. L’accompagnement apporté par l’ADEME portera sur les moyens d’assistance à maîtrise d’ouvrage, la formation des acteurs de projets, l’aide aux études (CFD) et la réalisation de campagnes de mesure de la qualité de l’air intérieur.
3 « État des connaissances sur les émissions des appareils de bureautique et les risques sanitaires potentiels associés », 2009.