Quelles sont les voies de demain pour produire du froid ? Le 1er appel à projets lancé par l’ADEME fin 2015 avait une priorité : faire émerger des technologies innovantes de climatisation durable, conciliant efficacité énergétique et faible émission de gaz à effet de serre. Bénéfice induit pour les entreprises industrielles et tertiaires, une facture énergétique allégée. Zoom sur quatre projets en action parmi les huit lauréats retenus.
Le froid constitue-t-il un nouvel enjeu de la transition énergétique ? Les pics de consommation d’été pourraient-ils faire peser des risques tout aussi importants que les pics de consommation en hiver ? Selon RTE(1), une augmentation d’un seul degré dans la température d’une journée en période caniculaire induit un appel de puissance d’environ 400 MW, en raison d’un usage accru de la climatisation. L’innovation vers une climatisation durable prend alors tout son sens.
Une étude américaine(2) confirme également la tendance : l’augmentation de l’usage des climatiseurs dans les zones tropicales et subtropicales va aggraver le réchauffement climatique par une augmentation de la demande en énergie et en émissions de CO2. Dernière preuve en date d’une prise de conscience mondiale, le 15 octobre dernier, près de 200 pays se sont engagés à mettre fin à l’usage des gaz HFC (hydrofluorocarbures) d’ici à 2050 - gaz dont l’effet de serre est 14 000 fois plus puissant que celui du CO2.
L’appel à projets de l’ADEME sur la climatisation durable et le froid du futur avait justement vocation à encourager le développement de « solutions froid » efficaces et durables. Il visait notamment à supprimer ou à réduire significativement l’usage des fluides frigorigènes les plus polluants (HFC).
Parmi les alternatives de climatisation durable proposées par les huit lauréats, plusieurs projets tirent parti des interactions possibles entre chaud et froid, de la valorisation de chaleur fatale et d’énergie renouvelable. Retour sur les atouts de quatre projets innovants visant de nouvelles solutions de conditionnement d’air pour le tertiaire, le commerce et les industriels tout en générant des économies sur la facture.
Sommaire
1. ETT, la chaleur fatale pour produire un chaud et froid simultanés
2. PV Cooling, une climatisation durable à énergie solaire avec pompe à chaleur (PAC)
3. Sustainair, de l’air frais et neuf à base d’eau et de chaleur renouvelable
4. Optidec, le rafraichissement durable, compromis entre coût et performance
1 - ETT, la chaleur fatale pour produire un chaud et froid simultanés
Produire du chaud et du froid par récupération d’énergie en circuit fermé n’est pas nouveau. Mais ici, l’innovation de la thermo-frigo-pompe réside en plusieurs points. D’abord, l’utilisation de propane remplace le fluide frigorigène habituel moyennant un très faible impact environnemental. Le Potentiel de Réchauffement Global (PRG) du propane est en effet environ 500 fois moins élevé qu’un fluide frigorifique traditionnel de type HFC. De plus, grâce à un système de régulation optimisé et un circuit frigorifique original, il permet à partir d’un seul et même système, de passer d’un mode à l’autre sans interruption.
Force du projet ? Grâce à la récupération d’énergie fatale, le système de climatisation durable ETT produit simultanément de l’eau chaude sanitaire, de la climatisation et du chauffage, le tout à des coûts d’exploitation bien inférieurs à ceux d’une pompe à chaleur réversible. « Jusqu’à présent le chauffage faisait partie des besoins dominants des secteurs résidentiels et tertiaires, explique Frédéric Bazantay, directeur du Pôle Cristal. Aujourd’hui, avec l’évolution thermique des bâtiments, les bâtiments basse consommation ou les bâtiments à énergie positive, on assiste à une inversion d’importance entre les besoins de chauffage et d’eau chaude sanitaire, désormais devenus prééminents. »
Cette solution tout-en-un s’avère ainsi très adaptée pour l’hôtellerie, la restauration, les établissements pour personnes âgées du fait d’importants besoins simultanés d’eau chaude sanitaire et de climatisation ou de chauffage. Elle l’est également pour les bureaux. « Actuellement, les surfaces vitrées des bureaux entraînent des besoins de chaud et de froid à l’échelle d’une même journée, explique Frédéric Bazantay. Plus globalement, cette solution commercialisée au premier trimestre 2017 permettra d’apporter des réponses à trois usages avec un même équipement, tout en réduisant drastiquement la facture énergétique. »
2 - PV Cooling, une climatisation durable à énergie solaire avec pompe à chaleur (PAC)
Atisys Concept a développé PV Cooling une solution innovante de climatisation durable utilisant l’énergie solaire. « Contrairement aux climatisations solaires existantes fondées sur des techniques de sorption(3) souvent complexes et coûteuses, notre système de climatisation durable utilise les panneaux photovoltaïques comme une ressource électrique couplée à une pompe à chaleur » explique Philippe Esparcieux, directeur scientifique de la société Atysis Concept qui développe PV Cooling.
« Pour gérer l’intermittence de la ressource solaire sans descendre sous un certain seuil de puissance obligeant l’extinction et le rallumage des compresseurs, nous devons sécuriser la puissance électrique délivrée par le champ photovoltaïque à l’aide d’un apport externe : réseau, batterie ».
Par ailleurs, l’appel à projets climatisation durable exigeait que le Pouvoir de Réchauffement Global (PRG) du fluide frigorigène soit inférieur à 150. « C’est pourquoi nous avons choisi le propane qui présente un PRG inférieur à 10 » précise à son tour Olivier Baup, responsable du projet.
Comment ça marche concrètement ? La puissance fournie par les panneaux photovoltaïques alimente la pompe à chaleur équipée de deux compresseurs conçus pour fonctionner avec une puissance adaptée à la ressource solaire variable. « Tous les composants sont validés mais c’est leur assemblage qui est innovant et qui permettra de proposer des solutions de climatisation durable à grande échelle (100 KW thermique).
Force du projet ? « La valeur ajoutée de la climatisation solaire, c’est que le besoin et la ressource sont synchronisés, insiste Philippe Esparcieux. Dans les régions à fort ensoleillement, c’est au moment où les besoins en climatisation sont les plus élevés que les panneaux photovoltaïques produisent le plus ». L’entreprise travaille en partenariat avec le bureau d’études thermiques Neotherm Consulting, la société Tecsol spécialiste des techniques solaires et EDD fabricant de pompes à chaleur. Pour Atisys Concept, l’objectif est d’orchestrer l’ensemble du dispositif suivant les types de scénarios avec notamment un enjeu : s’effacer du réseau. Par exemple en région PACA, alors que la ligne électrique est surchargée en été, cette solution de climatiseur durable permettra de produire du froid sans impacter le réseau » indique Olivier Baup. Un pari économiquement rentable dès 2017 car Atisys estime qu’en couvrant 80 % des besoins, les panneaux photovoltaïques vont atténuer le montant de la facture énergétique.
3 - Sustain’air, de l’air frais et neuf à base d’eau et de chaleur renouvelable
La particularité de la centrale de traitement d’air de Sustain’air qui produit de l’air chaud en hiver et de l’air froid en été, réside dans sa technologie inédite. Ici, la climatisation durable fonctionne uniquement avec de l’air et de l’eau, sans groupe froid ni fluide frigorigène mais en s’appuyant sur une source de chaleur renouvelable (solaire thermique, chaleur fatale, biomasse ou réseaux de chaleur urbains).
En été, l’entreprise produit du froid en deux étapes : assèchement puis réhumidification. Pourquoi ce double système ? « On connaît le principe de rafraichissement de l’air avec de l’eau : en humidifiant une pièce, on baisse la température de l’air, explique Thierry Lamouche, directeur de Sustain’air. Mais l’été, l’air étant déjà très humide, sa capacité de refroidissement est limitée à quelques degrés. Si avant d’humidifier l’air extérieur, on commence par le dessécher, on augmente alors considérablement sa capacité de refroidissement. »
La première étape avec ce climatiseur durable consiste donc à faire passer l’air extérieur à travers une roue de dessiccation (système qui absorbe l’humidité grâce au silicagel qui assèche l’air). Les panneaux solaires thermiques vont contribuer à cette première étape en apportant la chaleur nécessaire pour régénérer la roue avec un ballon tampon pour gérer l’intermittence de la ressource. Après un passage dans une deuxième roue pour pré-refroidir l’air, l’air va être réhumidifié par une fine pulvérisation de gouttelettes qui le fait descendre en température.
Force du projet ? La climatisation durable, mise au point à partir d’un programme de R&D avec l’Ecole des Mines, offre une capacité de refroidissement bien supérieure aux centrales de traitement d’air classique. A partir d’un air extérieur à 36°C, on peut obtenir un air ambiant à 20°C. Mieux, les bâtiments deviennent autonomes en énergie pour les besoins de climatisation et de chauffage en utilisant une ressource renouvelable : solaire, chaleur fatale des usines à proximité ou biomasse des réseaux de chaleur urbains. Depuis le dépôt de son brevet en 2016, Sustainair a démarré la commercialisation. « Par rapport à une centrale d’air conventionnelle, notre système de climatisation durable réduit la facture énergétique de 80 % sur la partie chauffage et climatisation » explique Thierry Lamouche.
Un logiciel de simulation permet à partir de besoins définis en amont, la mise au point d’un dispositif à la carte. « Nous pouvons jouer de manière très fine sur le degré d’hygrométrie, souvent essentiel pour nombre d’industriels ». Au-delà des bénéfices environnementaux, la centrale fonctionne en tout air neuf. « Chez nous, 100 % de l’air entrant est nouveau et subit à l’entrée deux filtrages par les humidificateurs-purificateurs, insiste Thierry Lamouche. L’air du bâtiment est rejeté à l’extérieur sans être recyclé ce qui garantit une grande pureté de l’atmosphère, stratégique pour certains secteurs. »
4 - Optidec, un climatiseur durable, compromis entre coût et performance
Spécialiste de la climatisation et du traitement d’air, l’entreprise Osmose a mis au point OptiDEC (Optimisation de la technologie DEC – Dessicant Evaporating Cooling). Fondé sur les mêmes principes que la technologie d’assèchement-humidification précédente, le procédé de climatisation durable utilise l’eau comme un réfrigérant au contact direct de l’air. Pour augmenter l’humidification et donc le rafraîchissement de l’air, une roue de dessiccation placée en amont dessèche l’air neuf avant réhumidification.
Pierre Urruti, ingénieur R&D chez Osmose illustre à son tour le procédé de climatisation durable qui permet de rafraîchir l’air sans compresseur, ni fluide frigorigène. « Prenons l’exemple d’une cascade, explique-t-il. A proximité de la chute d’eau, l’air est plus frais car il a été refroidi par l’évaporation de l’eau dans l’air. C’est le principe du refroidissement adiabatique ». Ainsi, pour obtenir le rafraichissement de l’air, le système Optidec dessèche d’abord l’air neuf avec la roue de dessiccation puis refroidit l’air sec par un échangeur thermique. L’air subit un deuxième refroidissement par un humidificateur adiabatique qui va projeter de fines particules d’eau dans l’air. L’air frais peut alors être soufflé dans le bâtiment à refroidir. A l’arrivée, la température de l’air aura baissé de 8 à 10°C.
Force du projet ? L’optimisation coût-performance. Chez Osmose, le démonstrateur OptiDEC est en pleine phase d’expérimentation. « Nous cherchons à obtenir le meilleur compromis en termes de coût et de performance, explique Matthieu Martins, Docteur-ingénieur R&D chez Osmose. Nous visons un coût d’investissement inférieur à 1500 €/kW froid et un gain énergétique de 20% par rapport aux solutions DEC (Dessicant Evaporating cooling) existantes. Face à une installation et une utilisation encore onéreuse, nous cherchons à diminuer les coûts au maximum pour démocratiser cette solution. ». Une fois les essais de performance et d’optimisation de la régulation réalisés, le produit devrait être commercialisé dès la fin 2017.
(1) Rapport RTE - Offre-demande d’électricité en France été 2015
(2) Etude de la Business School de l’Université de Californie à Berkeley, publiée en 2015 «Contribution of air conditioning adoption to future energy use under global warming».
(3) Rétention d’un gaz par un liquide ou un solide par absorption ou par adsorption (phénomène de surface par lequel des molécules de gaz ou de liquide se fixent sur les surfaces solides des adsorbants (charbon, sel de silice par ex)