D’abord considérés comme une alternative aux carburants polluants, les biocarburants accumulent les reproches : ils émettraient plus de CO2 que l’essence et le diesel, entreraient en concurrence avec la production alimentaire... Le glas sonne-t-il pour cette filière ? Le point de vue de Pierre Porot, responsable du programme « Biomasse vers carburants » à l’IFP Énergies Nouvelles (IFPEN)1.

Une récente étude de l’ONG européenne (Transport et Environnement) vient de porter un coup aux biocarburants, les accusant d’avoir un impact négatif sur le climat en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de surface cultivée. Une étude commandée par la Commission européenne leur fait le même reproche. Le litre de biodiesel issu du colza représenterait 1,2 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre que le litre de diesel ; celui de soja, 2 fois plus d’émissions ; et celui d’huile de palme, 3 fois plus. Faudra-t-il désormais compter sans les biocarburants pour tendre vers une mobilité propre ? Pierre Porot n’est pas de cet avis…

Pas du tout. Face à une demande en carburants en hausse constante dans le monde, et plus particulièrement en Asie, les biocarburants continuent à représenter trois atouts majeurs. 

  • Ils peuvent concourir à une plus forte indépendance du transport vis-à-vis des ressources fossiles soumises à des fluctuations de prix. 
  • Leur utilisation contribue à la réduction des émissions de gaz à effet de serre car il s’agit de carbone renouvelable. 
  • Enfin, ils génèrent des nouveaux débouchés et emplois dans le monde agricole. 

Il faut dépassionner le débat. Les biocarburants sont une solution parmi d’autres pour répondre aux enjeux du secteur transport qui est actuellement dépendant à 95 % de produits pétroliers (essence, diesel, jet fuel, fuel de soute), engloutissant à lui seul plus de la moitié de la consommation mondiale de pétrole et émettant un quart des gaz à effet de serre. L’argument de taille des biocarburants est qu’ils sont utilisables tout de suite, dans le parc automobile existant. Il n’y a pas à envisager d’investissements dans des véhicules ou bornes de recharge comme c’est le cas pour les véhicules électriques.

Non, bien-sûr. Mais il faut se méfier des amalgames et bien définir la génération de biocarburants dont on parle. L’IFPEN en a défini trois qui sont liées à la nature de biomasse utilisée (voir encadré). 

  • Biocarburant 1ère génération (G1) est élaborée à partir des réserves contenues dans les plantes : sucre, amidon, huiles et graisses végétales. 
  • Biocarburant 2ème génération (G2) a recours à la biomasse lignocellulosique (résidus forestiers, paille, bagasse, cultures dédiées telles que les taillis à croissance rapide...). 
  • Biocarburant 3ème génération (G3), en phase expérimentale, repose sur l’exploitation de la biomasse aquatique, en l’occurrence des algues autotrophes fonctionnant par photosynthèse pour délivrer un substrat carboné. 

C’est la G1 qui pose problème aujourd’hui, car ses performances environnementales sont variables, son gisement est limité et elle entre en concurrence avec l’alimentaire. La G2, en revanche, a beaucoup d’avenir. Le coût de cette biomasse est plus faible que celle de la G1. En outre, sa culture nécessite moins d’intrants, d’énergie et d’eau, d’où un bilan gaz à effet de serre plus favorable.

La production de biocarburants G1 a réellement décollé ces dernières années, notamment aux États-Unis avec l’éthanol issu du maïs, et a atteint le seuil de compétitivité économique par rapport aux énergies fossiles. Même si les technologies sont éprouvées, la G1 souffre cependant d’un niveau d’incorporation aux carburants fossiles limité, compte tenu de sa compétition avec l'alimentaire. Le bilan des émissions de GES, tenant compte de la culture de la ressource, de son transport et de sa conversion, fait apparaître une réduction de 45 % à 60 % pour la première génération par rapport aux carburants fossiles. La deuxième génération est encore plus performante avec une réduction allant de 70 % à 95 %. Ces chiffres ne tiennent pas compte d’éventuels changements d’attribution des sols2.
S'agissant des coûts de production, ceux de la G2 restent encore plus élevés que les carburants ex-fossiles (de 20 % à 50 %) mais on est très proche de la viabilité économique de la filière. Quant à la troisième génération, en phase exploratoire, le bilan énergétique est encore négatif et les coûts sont prohibitifs.

Le débat sur les biocarburants en Europe est devenu très idéologique. Il s’est enkysté sur les mauvaises analyses de GES du G1. Résultat : la Commission européenne tarde à fixer les seuils d'incorporation des biocarburants G1 et G2, ce qui met les investisseurs en état de prudence. Ils hésitent à industrialiser les biocarburants G2 qui arrivent pourtant à maturité. C’est navrant parce que des technologies de pointe ont été découvertes en Europe et, faute d’une réglementation à long terme, sécurisante pour les investisseurs, elles vont être exploitées en Chine, au Brésil et aux États-Unis. 

L’environnement réglementaire américain a contribué, lui, à faire éclore les premières unités de G2 sur le sol américain. Le Brésil, pionnier dans le domaine de l’éthanol G1, s’intéresse également à la production de biocarburants à partir de résidus (bagasse, paille de canne…). Enfin, la Chine se montre très ambitieuse dans le développement des biocarburants G2 avec un objectif d’incorporation de 15 % en volume en 2020 et une dizaine d’installations pilotes d’éthanol G2 en opération. 

La production de biocarburants G1 va plafonner, principalement en raison de la limitation des ressources disponibles. La G2 devrait prendre le relais avant que la troisième génération ne s’affirme, à l’horizon 2030. Ceci à condition que soient levés les verrous liés au traitement des algues. La concurrence des gaz de schiste pourrait cependant faire évoluer ces perspectives. Leur développement est lié au prix du baril de pétrole qui demeure stable actuellement et ne présente pas de tendance à la baisse. 

Autre élément essentiel au développement des biocarburants G2 : la compétitivité vis-à-vis des coûts de production des carburants issus des énergies fossiles. Les récentes avancées techniques permettent d'envisager un coût de 0,6-0,7 euros par litre. En France, il y a de beaux projets de développement de procédés G2 à horizon 2017-2020, dans lesquels l’IFPEN est impliqué : Futurol pour la voie éthanol et BioTfuel pour la voie biodiesel et biokérosène. L’association internationale du transport aérien (IATA) s’est fixé, à horizon 2050, de diviser par deux les émissions de gaz à effet de serre du secteur (sur la base des émissions 2005). Le recours aux biocarburants devrait contribuer pour 50 % à la réalisation de cet objectif.

 

À chaque biocarburant son mode de conversion de biomasse 

G1 : la G1 est élaborée à partir du sucre, de l’amidon, des huiles et graisses végétales contenues dans les plantes. L’huile est transformée en esters par conversion catalytique avant d’être mélangée au gazole pour produire du biodiesel ou encore du kérosène de haute qualité. Le sucre et l’amidon, issus de la betterave, de la canne à sucre, du blé, du maïs, de la pomme de terre, sont pour leur part, après fermentation, transformés en éthanol pour être mélangés à de l’essence.

G2 : la G2 a recours à la biomasse lignocellulosique (résidus forestiers, paille, bagasse, cultures dédiées telles que les taillis à croissance rapide) et fait appel à la biochimie et à la thermochimie. La première consiste à récupérer la cellulose de la lignocellulose et à la transformer en sucre pour produire de l’éthanol qui sera mélangé à l’essence. La seconde voie se subdivise en deux filières : d'une part, la gazéification de biomasse suivie de synthèse chimique de carburant et, d'autre part, la liquéfaction permettant d’obtenir des hydrocarbures par pyrolyse.

G3 : la G3 repose sur l’exploitation de la biomasse aquatique, en l’occurrence des algues autotrophes fonctionnant par photosynthèse pour délivrer un substrat carboné. La 3ème génération de biocarburants explore trois procédés : la voie lipidique, par laquelle les algues sont cultivées pour produire de l’huile et ensuite récupérée afin de rentrer dans les procédés de conversion des huiles ; la pyrolyse pour liquéfier les algues avant transformation en biocarburants ; ou encore l’hydrolyse enzymatique des polysaccharides des algues permettant de produire des sucres et donc de l’éthanol.

1 L’IFPEN est un organisme public de recherche, d’innovation et de formation intervenant dans le domaine de l’énergie, du transport et de l’environnement.
2 En Europe, pour qu’une énergie soit qualifiée de renouvelable, elle doit répondre à certains critères, parmi lesquels les émissions de CO2 et l’éventuel changement d’usage des sols.