Et si on pouvait prédire le mouvement des sédiments dans les rivières pour mieux dimensionner les travaux en aval des barrages ? Junjian DENG, post doctorant au LNHE a récemment publié dans la revue Water Resources Research pour partager son étude utilisant la modélisation physique et numérique. Elle permet de mieux comprendre les dynamiques fluviales pour optimiser les réinjections sédimentaires et ainsi contribuer à la préservation de la biodiversité.

Connaissez-vous l’auteur ?

Connaissez-vous Junjian DENG ? Junjian a rejoint la R&D d’EDF en septembre 2023 sur le site EDF Lab Chatou dans le département LNHE, groupe Hydraulique et Sédimentologie en tant que Post-doctorant du LHSV (Laboratoire d’Hydraulique Saint-Venant). Avant de rejoindre la R&D, Junjian menait une thèse au sein du laboratoire RiverLy de l’INRAE sur la Dynamique des sédiments fins dans les rivières de montagne aménagées publiée en 2022. Dans le cadre de son post-doctorat et pour répondre aux enjeux liés à la continuité écologique, il travaille sur la réinjection sédimentaire dans les rivières à graviers que l’on trouve dans les montagnes.

Dans ce cadre, il a publié dans la revue Water Resources Research, son étude « La modélisation physique et numérique pour optimiser les réinjections sédimentaires » qu’il a co-écrite avec Guillaume BROUSSE et Magali JODEAU, tous deux, ingénieurs chercheurs dans le département LNHE, groupe Hydraulique et Sédimentologie d’EDF Lab Chatou. Ces travaux sont réalisés dans le projet Gestion Sédimentaire 2028 pour EDF hydro.

En bref, de quoi parle cette publication ?

Certains barrages peuvent avoir un impact important sur les rivières. En bloquant en partie le passage des sédiments, ils peuvent perturber l’équilibre naturel des cours d’eau. Cela peut fragiliser certaines infrastructures, engendrer une perte de capacité de stockage et nuire à la vie aquatique.

Dans le cadre de la réglementation et en tant que producteur responsable, EDF se doit de proposer des solutions pour assurer la sûreté des ouvrages et limiter son impact environnemental.

Pour y remédier, EDF étudie différentes solutions.

Une des solutions consiste à ajouter des graviers dans la rivière, en aval du barrage, afin de permettre une morphodynamique en adéquation avec les biocénoses. La méthode de réinjection est bien connue mais on ne dispose pas encore d’outil opérationnel pour répondre aux différentes demandes réglementaires et techniques.

C’est dans ce contexte que Junjian mène des recherches sur les effets des réinjections de graviers sur la morphodynamique des rivières à lit de graviers situées en montagne. 

Et cela dans quel objectif ?

L’objectif de son études est de mieux comprendre les facteurs de contrôle des réinjections, selon deux approches :

  1. Expérimentale sur un modèle réduit de rivière à graviers – le canal 20 du LNHE d’EDF Lab Chatou sur lequel il représente plusieurs cas de figure, collecte les résultats et les interprète
  2. Numérique sur un outil spécifique (système TELEMAC-Mascaret) où il reproduit les phénomènes d’érosion et de dépot des sédiments grâce aux données expérimentales

Lors de son expérience, Junjian a simulé deux scénarios de crue, l’une avec un apport de sédiments en amont, représentant les conditions hydro-sédimentaires lors d’une crue avec transparence de barrage ; l’autre sans apport, représentant la discontinuité sédimentaire engendrée par le barrage. Avant chaque crue, il a réinjecté des graviers colorés en noir sous forme de talus dans le lit de la rivière.

Résultats :

  • Quand l’apport de sédiment en amont est assuré lors de la crue, le talus de gravier s’érode plus vite.
  • Quand aucun sédiment ne venait depuis l’amont, les graviers ajoutés se déplacent plus loin vers l’aval.
  • Dans les deux cas, les bancs de graviers sont déplacés ou disparaissaient pendant la crue.
  • Après la crue, les bancs se reforment seulement si la continuité sédimentaire est assurées. Sinon, la rivière forme un seul chenal profond.

Ces résultats permettront de contribuer à la rédaction d’un guide « réinjection sédimentaire » écrit en collaboration avec l’OFB : l’Office Français de la Biodiversité.

En conclusion, la façon dont les barrages libèrent l’eau et les sédiments peut profondément changer la forme des rivières. Pour restaurer les rivières efficacement, il faut donc bien gérer à la fois les travaux, l’eau et les sédiments.

Dans quel cadre s’intègrent ces travaux ?

Les travaux sur le transport solide permettent de répondre à plusieurs problématiques du groupe EDF :

  • Enjeux de production des barrages, car les sédiments se décantent dans les réservoirs conduisant à une perte de capacité de stockage et donc de production.
  • Enjeux de sûreté, en se déposant à l’amont des barrages, les sédiments peuvent augmenter le risque de débordement lors des crues.
  • Enjeux environnementaux : les sédiments sont bloqués par les barrages ce qui conduit à un manque de sédiments en aval du barrage et donc à un appauvrissement des habitats pour les poissons. De plus, pour compenser le manque de sédiment, la rivière creuse et le lit s’abaisse entrainant une baisse du niveau de la nappe phréatique ce qui cause des problèmes pour accéder à l’eau potable et pour la ripisylve. C’est sur ces enjeux environnementaux que porte le travail de Junjian.

Quelle suite pour le projet ?

La prochaine étape du projet a été de construire un outil numérique permettant d’enrichir de valider les codes hydro-sédimentaires TELEMAC2D-GAIA dans le système TELEMAC-Mascaret. Cette modélisation a pour but de reproduire les expériences de laboratoire et de vérifier si le code permet de capter les évolutions spatio-temporelles de la rivière, son comportement pour permettre la rivière de retrouver sa forme naturelle après la réinjection et ainsi reproduire un environnement favorable pour l’habitat des poissons.

Information

La réinjection des graviers est une stratégie courante pour atténuer les effets négatifs du déficit sédimentaire pouvant être causés par les barrages. Cependant, son efficacité dans la restauration des rivières à lit de graviers endiguées et régulées par des barrages, avec des bancs de galets alternées, n'est pas encore claire. Il est particulièrement intéressant de comprendre comment la morphologie des bancs évolue après une réinjection sédimentaire et comment la morphologie varie en fonction de la présence ou de l'absence d'une fourniture sédimentaire en amont, qui est souvent contrôlé par les barrages. Nous avons mené une expérience en laboratoire pour étudier les effets morphologiques d'une réinjection pendant une crue dans un canal rectiligne constitué de bancs de graviers hybrides stables.

Deux crues avec et sans apport de sédiments en amont, respectivement, ont été introduites dans le canal, chacune suivie d'un débit modéré. Un talus stockable de même volume a été ajoutée au canal avant chaque crue. Les résultats ont montré que l'érosion latérale du talus de stockage était la plus forte lorsque l'apport de sédiments en amont était maintenu, tandis que la vague de sédiments se propageait plus loin lorsque l'apport de sédiments était inexistant. Les données topographiques ont montré une suppression du banc déclenché par le talus indépendamment de l'apport de sédiments en amont pendant la crue. Après la crue, la morphologie des bancs est réapparue avec le maintien de l'apport de sédiments en amont, tandis qu'un chenal incisé à lit unique a été observé à la fin du scénario sans apport en amont. Ces observations suggèrent que le réapprovisionnement en sédiments, combiné à un débit contrôlé et à la libération de sédiments par le barrage, peut fortement modifier la morphologie des bancs de graviers d'une rivière endiguée. L'ampleur et le type des changements morphologiques de la rivière dépendent également des opérations du barrage en amont à haut débit.

Les co-auteurs

Guillaume BROUSSE, Ingénieur Chercheur sédimentologue à la R&D d’EDF – membre du LHSV (Laboratoire Hydraulique Saint-Venant de l'ENPC)

Magali JODEAU, Ingénieur Chercheur Expert à la R&D d’EDF membre du LSHV, pilote du projet Gestion sédimentaire 2028


Domaine de la publication : Terre, environnement, science


En savoir plus sur la revue Water Resources Research

Water Resources Research est une revue scientifique à comité de lecture publiée par l'American Geophysical Union. Elle est consacrée à la recherche dans les sciences sociales et naturelles de l'eau et à l'hydrologie. La rédactrice en chef est Georgia Destouni, qui a succédé à Martyn Clark.