[Dans ce témoignage, Stéphane Tanguy (directeur des systèmes et technologies de l’information à la R&D d’EDF) et Joseph Mikael (chef de projet informatique et technologies quantiques à la R&D d’EDF) expliquent comment l'informatique quantique pourrait transformer les calculs scientifiques du groupe : optimisation de la recharge des véhicules électriques, modélisation du vieillissement des matériaux, amélioration de la performance énergétique, et bien plus.]
Stéphane Tanguy : L’informatique quantique offre de très belles opportunités pour le groupe EDF, en particulier pour la R&D et les ingénieurs du groupe, qui font énormément de calculs scientifiques pour assurer la performance et la sûreté de notre parc de production.
L’informatique quantique apporte la promesse de faire des calculs qu’on ne sait pas faire aujourd’hui, qu’on ne sait pas réaliser, sur lesquels on n’a que des valeurs approchées.
Les cas d’usage les plus prometteurs qu’on espère pouvoir développer avec l’algorithmie quantique sont autour de l’optimisation. Par exemple, les problématiques de recharge des véhicules électriques qui, à la maille d’une nation entière, peuvent être des problèmes très complexes à résoudre.
On regarde aussi les problèmes de matériaux, en particulier de vieillissement de métaux, mais également de vieillissement des batteries, qui est un phénomène qu’on ne connaît pas très bien aujourd’hui.
On va regarder également d’autres sujets autour des équations aux dérivées partielles qui vont permettre de modéliser la structure de nos ouvrages, la structure de nos barrages, et de mieux comprendre leur vieillissement.
ll y a aussi une autre promesse de l’informatique quantique, qui est celle de l’efficacité énergétique. Comme on le sait aujourd’hui, les supercalculateurs, les data centers, en particulier pour le traitement de l’intelligence artificielle, consommes énormément d’énergie.
Les ordinateurs quantiques ont cette possibilité de consommer beaucoup moins d’énergie. Encore faut-il s’assurer que quand on va passer à l’échelle, c’est-à-dire passer de quelques centaines de qubits comme aujourd’hui à quelques dizaines de milliers ou quelques millions de qubits, que cet avantage énergétique soit préservé.
Question : Que fait la R&D d’EDF dans ce domaine ?
Stéphane Tanguy : Le principal challenge pour nous, ça a été de former des informaticiens quantiques. Quand on a lancé ce programme en 2019, un informaticien quantique, ça n’existait pas. Il fallait les former. Et globalement, c’est quelqu’un qui a de très bonnes connaissances mathématiques, qui est en capacité de maîtriser tous ces algorithmes quantiques, et quelques connaissances également en physique quantique, de façon à connaître, comprendre comment fonctionnent ces qubits et ces machines.
Pour faire cela, évidemment, on ne travaille pas tout seul. On a besoin de l’ensemble de l’écosystème qui est très actif, très dynamique en France. On a la chance d’avoir une bonne demi-douzaine de start-ups qui sont au top niveau mondialement dans le domaine de technologie quantique. Il faut savoir qu’il y a plusieurs technologies qui concourent pour cet avantage quantique.
Joseph Mikael : En 2024, on a fait plusieurs tests sur des vraies machines quantiques qu’on ne peut pas émuler classiquement. Typiquement, on a fait un test sur la machine Pascal à plus de 100 atomes, 100 qubits donc, sur la recharge intelligente de véhicules électriques.
Question : Un aperçu des défis qu’il reste à relever ?
Joseph Mikael : ll y a beaucoup de verrous algorithmiques qui nous restent à lever, et en particulier deux que je vais citer. Il y a la parallélisation d’algorithmes : comment je profite de l’interconnexion entre machines quantiques pour traiter des cas d’usage à l’échelle. Ce sont des travaux qu’on mène grâce à la région Île-de-France, à AQADOC et différentes start-ups, Weling, Pascal et Quandela.
D’autres sujets autour de l’avantage quantique énergétique qu’on mène aussi avec des partenaires du CNRS, Alice & Bob et Quandela, pour essayer de qualifier et quantifier un avantage quantique énergétique. Si on peut faire la même chose que le classique, mais avec une facture énergétique amoindrie, on serait gagnant.