
Pour la huitième édition de son Concours Bas Carbone, EDF s’est à nouveau projetée à l’échelle d’un quartier existant, mais cette fois-ci, à Bordeaux. Partant de ce terrain d’études, les équipes pluridisciplinaires sélectionnées se sont lancées dans une exploration futuriste, en quête de la neutralité carbone de ce territoire.
Avec en toile de fond le réchauffement climatique et une population toujours plus urbaine et connectée, les stratégies énergétiques sont confrontées à de nouveaux enjeux sociétaux et environnementaux. Depuis 2008, le Concours EDF Bas Carbone permet à des architectes, des bureaux d’études et des aménageurs d’explorer des pistes d’urbanisme durable. Les premières éditions de ce laboratoire d’idées se sont focalisées sur la maison individuelle bas carbone. Puis, en 2015, le champ de prospective s’est élargi à l’échelle d’un quartier existant de Lille. En 2017, c’est de nouveau le périmètre d’un quartier qui est ciblé : celui de la Jallère à Bordeaux.
Neutralité carbone, c’est possible ?
Quatre équipes pluridisciplinaires – architectes, urbanistes, paysagistes, bureaux d’études énergie et développement durable, designers… – ont été sélectionnées sur leur note d’intention. Leur feuille de route : tracer une perspective bas carbone pour ce quartier bordelais, avec en corollaire le réchauffement climatique stabilisé à + 2 °C selon les engagements de la COP 21 ; le facteur 4 qui consiste à diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2050 ; et la raréfaction des ressources.
Asséché et aménagé à partir des années 60, le site de la Jallère est une large zone encore verte, entre la rocade de la ville et les grands espaces naturels qui ceinturent son expansion au nord. Le terrain d’une dizaine d’hectares, proposé à la réflexion pour le concours, appartient à la Caisse des dépôts et consignations. Il comporte un ensemble de bâtiments des années 70 très bien entretenus, dont un data center, importante source d’énergie fatale. Sur l’essentiel de la superficie, des aires de stationnement ombragées, des voies pavées à joints perméables et des espaces verts plantés de 750 arbres. Quel avenir dessiner pour ce quartier, afin d’en faire l’îlot fondateur d’une valorisation globale du territoire visant un bilan carbone équilibré, voire neutre si possible ? La réponse attendue : une vision prospective de la ville et non un projet d’aménagement.
Lier la ville à son arrière-pays
« Design graphique, scénarios d’évolution des sociétés, solutions de grid thermique et électrique… Chaque équipe a fait preuve d’une approche technique et urbanistique très fine, intégrant les risques liés à l’impact régional du réchauffement (montée des eaux, inondations, feux de forêt…). Toutes assurent dans un engagement à long terme la transition entre ville et campagne », souligne Philippe Labro, directeur des Partenariats d’EDF Collectivités. Après avoir fait l’objet d’une exposition dans le cadre de la biennale d’architecture Agora 2017 de Bordeaux cet automne, ces projets sont tous présentés dans le livre Bordeaux Respire (Ante-Prima– AAM Éditions), disponible en librairie.
Le jury a décerné le Trophée Bas Carbone EDF au projet « Palun 15 %, Paysages, énergies, humanités en 2050 », dont les auteurs ont investi un territoire plus vaste au nord de Bordeaux, de la Garonne à Saint-Médard-en-Jalles. Axée sur huit grands principes, l’approche de cette équipe pluridisciplinaire* consiste à réinventer, dans un quartier de très faible densité (cinq à sept habitants à l’hectare), la place de la nature en lui donnant un rôle dans la séquestration du carbone, de la forêt jusqu’aux tourbières. Une vision utopique qui n’est pas la ville, mais plutôt une métaphore de la symbiose de l’espace urbain et de sa campagne environnante. « Ce concours a permis l’exploration d’hypothèses jusqu’ici inenvisagées ou même repoussées par pragmatisme. Or, il y a toujours des éléments à retenir et à exploiter chez les utopistes », commente Michèle Laruë-Charlus, directrice générale de l’Aménagement de Bordeaux Métropole. Énergie, eau, mobilité, alimentation : au quotidien, la ville est traversée de flux qui la font subsister.
Elle doit composer avec son arrière-pays qui la nourrit, l’alimente en énergie et pourra lui apporter les crédits carbone nécessaires à sa neutralité.
La parole à Jean-Rémy Dostes, architecte urbaniste, agence HAMELe Concours EDF Bas Carbone, c’est une opportunité rare d’approfondir des réflexions sur les grands enjeux de demain : la solidarité territoriale, la qualité de la desserte énergétique et sa signification sociale, la manière dont les citoyens ou les entreprises pourraient concrètement améliorer la situation actuelle… Pour penser la neutralité carbone du quartier de la Jallère, nous avons interrogé l’architecture, mais aussi la biologie, la philosophie et la sociologie. Les améliorations technologiques ont déjà permis de diminuer le taux de carbone que nous libérons dans l’atmosphère, la forêt permet également d’en stocker une partie. Mais nos modes de vie et notre organisation collective restent trop impactants, et nous avons la certitude que les réponses ultratechnologiques de type smart city ne suffiront pas. Nommé « Palun 15 % », notre projet est avant tout un défi, celui de s’attaquer, au-delà du facteur 4, aux derniers bastions du carbone auxquels font référence les 15 %. Notre équipe a cherché une réponse globale à une plus grande échelle que celle du quartier. Nous avons imaginé la métamorphose progressive d’un vaste territoire de zones rurales et urbaines mêlées, en alternant rêves et réalités plausibles, inspirés des dernières recherches scientifiques et techniques.Notre programme invente et bouscule l’agriculture, la logistique, l’économie, la construction comme les énergies de demain. Notre projet est global : il enjoint les habitants et les décideurs à faire mieux, à réinterroger nos pratiques, et à se réintéresser aux écosystèmes de nos villes. Il associe les acteurs publics et privés du territoire pour ouvrir un futur où expérimentations, réajustements, espaces en attente ou en mouvement sont autorisés : une université-laboratoire ouverte sur la ville, chargée de mener des actions bas carbone ; une nouvelle économie du vivant qui permet de réaliser nos matériaux de construction à partir du végétal produit localement ; la mise en place d’un réseau de production d’énergies « naturelles » associé à des structures totems qui permettent à chacun d’observer et de participer aux consommations énergétiques du quartier… Les possibilités sont immenses pour peu que nous bousculions nos pratiques. Nous avons fait un travail stimulant, dont la richesse sera sans aucun doute une ressource importante pour nos projets futurs. |