A Paris, Caroline, 36 ans, travaille à la direction de la transformation et de l’efficacité opérationnelle. Depuis dix ans, elle est aussi clown. Sa façon à elle de faire bouger les lignes. « Le nez rouge, c’est le plus petit masque du monde, celui qui permet de retrouver la spontanéité des enfants et autorise aussi à sortir des cadres. » Un regard décalé sur le monde qui fait du bien.

Zut alors ! Caroline Carré, 36 ans, s’assoit sur un banc du parc Monceau à Paris, et enfile son nez rouge, très vite. Pas le temps de voir la transformation : « Je dis souvent « Zut ! ». Alors, j’ai appelé mon clown comme ça. Le nez rouge, c’est le plus petit masque du monde, celui qui permet de retrouver la spontanéité des enfants et autorise aussi à sortir des cadres… » « Sortir des cadres », le mot est dit. Chargée de mission à la direction transformation et efficacité opérationnelle rue de Miromesnil à Paris, Caroline est entrée à EDF en 2010, par la porte des Ressources humaines. Mais elle est aussi clown depuis dix ans et cultive un regard décalé sur le monde.
« Bazar Vest »
« Les choix que j’ai fait sont le fruit d’heureux hasards. Pas de plan de carrière, plutôt une grande ouverture sur le champ des possibles… » Elle grandit près de la Beauce, à Dreux, entre une mère infirmière et un père qui travaille pour une collectivité territoriale. En terminale, son prof d’éco la repère et l’encourage à faire une prépa : « Cela ne me serait jamais venu à l’idée, j’avais bien trop peur que cela soit trop élitiste, mais j’y suis allée. » Ce sera Khâgne et Hypokhâgne à Orléans, puis le CELSA, à Levallois. Stagiaire aux RH du journal Le Monde, elle tombe sur une « bonne fée », une tutrice qui lui parle d’égalité homme-femme, qui travaille sur la diversité en traquant les stéréotypes : « On ne parlait pas encore beaucoup de ces sujets en entreprise. Les grands groupes ont commencé à signer des chartes sur la diversité. Cela m’a parlé. » En deuxième année, elle décide d’aller sur le terrain. Cela tombe bien, il reste une place avec Erasmus pour partir au Danemark. Direction Copenhague. Elle entame un mémoire sur l’intégration des immigrés sur le marché du travail danois : « Je vivais dans un « collegium », une résidence universitaire qui voisinait un « Bazar Vest », un grand marché, tout sauf danois ». Un épicier lui enseigne quelques mots d’arabe, elle lui a dit que son amoureux – son futur mari, est libanais. Un brassage multiculturel qui affute sa curiosité.
« Il n’y a rien à réussir, tout à observer. »
De retour en France, elle fait un stage dans un autre univers : BNP Paribas. Pour voir « ce qu’on met en pratique quand on est employeur en matière de diversité ». En 2007, elle est embauchée par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, où elle travaille pour la promotion de l’égalité avec de grandes entreprises – dont EDF, mais aussi des syndicats, des collectivités locales, des associations... « Je me suis rendue compte que quel que soit le niveau de mes interlocuteurs, ils pouvaient exprimer des préjugés de manière très naturelle, sans les remettre en question . » C’est à cette époque qu’elle fait l’apprentissage du clown : « Le clown, c’est un douteur professionnel à la recherche de sensations brutes… Il n’attend pas vraiment de réponses. Le rire, c’est la cerise sur le gâteau. Ma première prof de clown nous disait, « Il n’y a rien à réussir, tout à observer, » je garde cela encore en tête car cela permet de faire taire les voix intérieures sur le jugement, la recherche de performance et laisse le champ libre à l’exploration, le droit à l’erreur… En voilà une bonne leçon à transposer en entreprise ! » Son clown, Caroline l’a construit au fil du temps. Avec d’autres clowns. « Car chaque clown est différent. Le mien est très enfantin, il a la bougeotte, danse beaucoup, aime bien parler aux objets. » Elle cultive cet art qui réinterroge les normes sous toutes ses formes. Après la HALDE, elle décide de mettre en pratique à EDF les recommandations qu’elle a données. En 2012, elle est embauchée à la direction des ressources humaines du Groupe où elle travaille sur la prévention des discriminations et sur la diversité. Là encore, ce poste l’ouvre sur l’étranger avec les filiales d’EDF. Elle anime un réseau de correspondants, intègre le réseau « Energies de femmes ».
« Ça vit et ça vibre à l’hôpital ! »
Depuis quatre ans, elle occupe un poste plus opérationnel. Elle ne veut surtout pas se transformer en « donneur de leçons ». Son clown aussi a grandi. Depuis un an, il s’appelle Zut ! et rend visite aux enfants hospitalisés de Poissy et Versailles, pousse la porte des urgences pédiatriques avec l’association Zygomatic. « Ces visites apportent autant aux enfants qu’aux familles. C’est comme une parenthèse dans le quotidien d’une hospitalisation… Qu’est-ce que j’en tire ? J’arrive avec le doute inhérent au clown - est-ce que ça va marcher ? - et j’en repars toujours surprise d’avoir pu cueillir des sourires et des instants de partage… Ça vit et ça vibre à l’hôpital ! » Le clown Zut ! n’est resté qu’une heure au parc Monceau, mais déjà, des enfants l’entourent. Le rouge vissé au nez fait oublier que la pluie s’installe. C’est une fin d’après-midi douce, où l’on apprend qu’il est parfois simple d’ouvrir certaines portes sans forcer, un court instant.