Aude est directrice du programme Intelligence Artificielle d'EDF. Pour cette ancienne championne de France de gymnastique acrobatique, qui s'est toujours attachée à faire le pont entre les sciences et l'Homme, « l'IA doit être un moteur de transformation pour l'entreprise, qui laisse toute sa place à l'humain ». Portrait.

« Je me suis toujours fiée à ma bonne étoile », confie Aude, 41 ans, aujourd'hui directrice du programme Intelligence Artificielle à la DSIT. Sa voix est joyeuse, positive, à l'image du sourire contagieux qui se profile à l'autre bout du téléphone.
Des chiffres et des lettres
Aude a grandi en région parisienne dans un univers baigné de service public. « Ma mère était institutrice, mon père commissaire de police. Moi, j'étais curieuse, je voulais tout faire, ce qui a posé un problème lorsqu'il a fallu choisir entre les matières scientifiques et la littérature. » Lui demander de choisir ? C'est mal connaître Aude, pour qui maths et français sont au contraire très complémentaires. Tout l'intéresse. Même la gymnastique acrobatique : « Je m'ennuyais un peu au collège, alors lorsqu'on est venu me voir pour compléter un trio féminin en sport acrobatique, j'ai tout de suite accepté le défi ! » La voici donc inscrite section sportive « Haut-Niveau ». De saltos en pyramides, elle arrive même en haut du podium des championnats de France en 1996. « C'était une école de la vie : les stages d'entraînement pendant les vacances, le travail quotidien, c'était difficile, mais passionnant. »
En terminale, lorsqu'elle doit s'orienter, elle regarde vers les Championnats d'Europe. Mais son père la ramène à la réalité. « Ce qui me plaisait, c'était les sciences humaines, mais aussi les maths. Je voulais garder ces deux volets. » Qu'à cela ne tienne. À la Sorbonne, malgré le regard dubitatif des autres, elle s'inscrit à la fois en sciences du langage et en informatique. « C'était un peu précurseur ce double cursus car quelque temps plus tard, j'ai pu m'inscrire à un DEA mixant informatique et sciences humaines, un peu d'Intelligence Artificielle finalement ! » Aude suit son instinct et entame une thèse. Elle devient même prof dans ce domaine.
« Ça sert à quoi, à qui ? »
Un midi, son directeur de thèse l'appelle : « Vous aimez les voyages ? Séoul ça vous tente ? » Elle répond du tac au tac par l'affirmative et part… six mois. En 2005, Séoul est à la pointe de la technologie, « c'était une ville futuriste, très avancée sur le volet digitalisation. » Pourtant, Aude annonce la couleur :
Au retour, elle soutient sa thèse avec son fils d'un mois et demi dans un couffin. Elle prend aussi du recul sur son parcours universitaire : « J'ai adoré ce côté intellectuel et pluridisciplinaire, mais je me suis demandé : au fond, ça sert à quoi ? À qui ? J'ai besoin de concret, de voir l'utilisateur… »
Elle décide de se lancer sur le marché du travail. Plusieurs entreprises de conseil la démarchent pour faire le pont entre le besoin des métiers et les développeurs informatiques. Elle est finalement recrutée par une petite société de conseil, Telys, « qui travaillait pour de grands groupes d'assurance, des banques, et…EDF ». Je ne me suis jamais sentie aussi bien qu'avec EDF », raconte-t-elle. « J'étais avec des gens qui avaient des valeurs humaines… »
Elle est d'abord prestataire pour la CCAS - « notamment pour adapter le système d'information des vacances à de nouveaux outils » - et, fin 2010, intègre le Groupe. En 2014, elle arrive à la DSIT, « pour faire du conseil interne avec notamment un projet pour optimiser les processus RH. On allait sur plusieurs sites en France pour savoir ce qui fonctionnait ou pouvait être encore amélioré. Nous étions très proches du terrain et des métiers. » elle travaille aussi autour de la gouvernance des données. Mais en 2015, elle décide d'ouvrir son horizon en parcourant le monde.
Des valeurs comme des évidences
« Mon mari, caméraman, venait de filmer une famille qui avait fait le tour du monde. Il s'est dit, pourquoi pas nous ? » Adepte des treks, Aude relève le défi familial : « Nous sommes partis avec nos deux fils de 5 et 7 ans, et 15 kg sur le dos de chacun des parents. » Au final, 14 pays visités, des Etats-Unis au Pérou, en passant par le Brésil, l'Ile de Pâques, le Laos et le Vietnam, avec chaque fois un trek à la clé. Ce qui a changé pour elle au retour ? « Des valeurs profondes qui sont devenues des évidences telle que l'envie de fuir la surconsommation ambiante, de retrouver la nature. Quand on voyage au jour le jour, on ne peut pas tout prévoir, on apprend à s'adapter dans un monde de plus en plus incertain. Je suis rentrée aussi avec une énergie décuplée. » Elle est prête à relever un nouveau défi. « Cela tombait bien car la DSIT souhaitait monter une nouvelle équipe autour de l'intelligence artificielle. J'avais fait mes études sur le sujet et cela me passionnait, j'ai dit « Go » ! » Elle se lance, mais avec un crédo :
« Comment ça va bien ? »
Une nouvelle équipe se forme et regroupe peu à peu une vingtaine de salariés qu'Aude manage de toute son énergie. Le confinement ? « Cette période de crise nous a énormément rapprochés. Tous les jours, une demi-heure avant le repas, nous avons mis en place une réunion, « Comment ça va bien ? » pour dire aussi ce qui n'allait pas. En tant que manager, j'ai essayé d'être le plus à l'écoute possible, c'était très riche humainement. »
Alors que de nombreux projets d'IA fleurissent dans les métiers, l'équipe propose des solutions transverses, via notamment une plateforme d'assistance virtuelle. « Au départ, ce sont les juristes qui sont venus nous voir pour « dépoussiérer l'image du juriste à EDF » et simplifier leur travail. Nous les avons doté d'un chatbot pour répondre aux sollicitations les plus simples de façon à leur libérer du temps. Aujourd'hui, 15 chatbots aident les salariés de différents métiers de l'entreprise, ou les clients, en répondant aux questions les plus fréquentes. » Autre application possible de l'IA : celle de la maintenance prévisionnelle. « Nous disposons de plusieurs années d'historique de données. Aucun cerveau humain, ne peut aller aussi vite que la machine pour trouver des corrélations. C'est une aide à la prise de décision, cela augmente les possibilités de l'humain », souligne Aude.
Un changement culturel
Depuis septembre, Aude dirige le programme « Intelligence artificielle » sein de la DSIT, et continue de piloter la Task Force IA qui traite les questions transverses à un niveau Groupe. « Je suis désormais du côté de la stratégie pour apporter des solutions aux métiers. Beaucoup de petits projets ont fleuri et il faut mettre en marche ce qui peut servir au plus grand nombre. Nous avons déjà rencontré 16 métiers différents pour comprendre leurs enjeux et identifier les meilleures solutions. Aujourd'hui, nous voulons faire de l'IA un moteur de transformation du Groupe autour de plusieurs axes : l'augmentation de la performance, la sécurité, la personnalisation de l'expérience salarié et client, l'exploration de nouveaux services. » Autant d'enjeux en phase avec la crise sanitaire actuelle.
Mais Aude n'oublie pas l'humain : « Pour moi, l'intelligence artificielle est autant un changement culturel que technologique, nous y arriverons le jour où l'on considèrera que la donnée fait vraiment partie de notre patrimoine. Je ne veux pas d'une intelligence artificielle qui oublie les valeurs humaines d'EDF. Laissons la techno pour la techno aux autres… » Tout est dit.