Trouver des solutions contre le dérèglement climatique ? C’est possible, pour Frédéric Gheung, 39 ans, ingénieur sur le projet EPR2, qui a entrepris avec son épouse un tour du monde des expériences mises en œuvre pour préserver la planète du réchauffement. Portrait au long cours.
Ch'tinois. Voilà comment Frédéric Gheung, ingénieur à EDF, décrit ses origines, moitié françaises, moitié chinoises. « J'ai grandi entre Antibes et Nice, près d'un père originaire de la région de Shanghai et d'une mère Ch'ti. Passionné de Lego, j'avais envie de devenir plus tard architecte », s'amuse celui qui « aime construire » et qui agence aujourd'hui les pièces d'un tout autre puzzle, celui du réacteur nucléaire EPR 2.
D'Olkiluoto à Taishan
Après un bac scientifique et une prépa à Paris, Frédéric entre finalement aux Mines de Nantes pour devenir ingénieur. Il s'y spécialise dans la gestion de projets et des systèmes d'information. Et part un an en Erasmus à Madrid : « J'y ai perfectionné mon espagnol, une langue que j'ai toujours adorée. Cela m'a d'ailleurs porté chance puisqu'à la fin de mes études j'ai rencontré celle qui est depuis devenue mon épouse, Carolina, comme moi ingénieure, d'origine colombienne. » Son diplôme en poche, il décroche un premier emploi dans un cabinet de conseil avant de « rejoindre le bateau nucléaire France ».
Cela tombe bien : Carolina, qui effectue un stage chez Framatome, y obtient un poste de responsable environnement sur l'EPR d'Olkiluoto en Finlande. Frédéric décide de la suivre et, arrivé là-bas, candidate spontanément pour travailler sur le site : « On m'a proposé un poste de responsable documentation. Nous étions au tout début du projet. Nous faisions partie des dix premiers expatriés. On est restés deux ans. » En 2007, retour à paris. Frédéric réintègre Framatome, tandis que son épouse décroche un emploi chez Areva du côté de la RSE. « Elle, comme moi, nous sommes sensibles aux problèmes liés au réchauffement climatique. C'est un sujet qui nous a toujours tenus à cœur. » Une nouvelle opportunité se présente : Frédéric rejoint l'équipe de négociation du contrat d'EPR de Taishan, en Chine. Et c'est reparti pour le globe-trotter du nucléaire…
« Retrouver une partie de moi-même »
« Qui sait ? J'avais envie de m'expatrier un jour en Chine. Une façon sans doute de retrouver une partie de moi-même », raconte Frédéric qui, pour l'heure, se partage entre la France et la Chine au sein d'une équipe de douze personnes. Il s'occupe des processus documentaires qui scelleront la signature du contrat de l'EPR chinois :
« Un contrat de 8 milliards d'euros tel que celui-ci, ce sont près de 200 documents numérisés, soit une somme phénoménale d'informations qui doivent être tenues à jour ! »
Une fois le contrat signé, on propose à Frédéric de s'expatrier pour de bon à Shenzhen. « J'ai eu le bonheur d'être à la fois sur un projet passionnant et de pouvoir explorer mes origines. » En parallèle, Frédéric et son épouse rêvent de parcourir un jour la planète ensemble. « En 2008, avec la crise économique et l'échec de la conférence de Copenhague en 2009, la question climatique n'était pas au-devant de la scène. Engagés sur cette question, nous nous sommes dit que cela serait un fil rouge intéressant pour notre idée de voyage. Et le projet « One Climate One Challenge » nous est venu très vite … »
« One Climate One Challenge »
Le concept est simple : un lieu, un sujet, une personne. « Il faut dire que de nombreuses expériences étaient menées à travers le monde pour lutter contre le dérèglement climatique. Nous nous sommes dit qu'il suffisait de rencontrer les bonnes personnes au bon endroit. » Qu'à cela ne tienne. Frédéric et Carolina exploreront huit pays lors d'un premier voyage en 2011 et cinq autres en 2016. « Patagonie, Pacifique et Inde, dans un premier temps, nous avons rencontré des dizaines de personnes sur des sujets liés à la mobilité, à la construction, à l'économie circulaire ou encore à l'agriculture. Au final, 31 articles ont été publiés sur un blog, puis édités sous la forme de deux livres. »
Comment procéder ? Les « enquêteurs du climat » cherchent d'abord les sujets et des interlocuteurs sur le net, échangent avec les associations et les pouvoirs publics, et, très vite, font des rencontres. À tel point que leur démarche fait boule de neige. « Nous avons rencontré beaucoup de gens, et même le ministre de l'environnement en Polynésie ! », se souvient Frédéric qui évoque cette scène, filmée par la télévision locale. Régulation de l'eau en Colombie, géothermie et économie circulaire en Nouvelle-Zélande, problématique forestière sur l'Ile de Pâque, système de refroidissement innovant en Australie avec l'Opéra de Sydney… Frédéric prend conscience que l'urgence est bien là, mais que des solutions aussi. « Petite remarque, clairement nous avons trop pris l’avion avec ces voyages. Nous n’avions pas connaissance des chiffres à l’époque. Nous ne prenons l’avion que très exceptionnellement à présent. »
Des héros de l'ombre et des solutions « low tech »
Ce que le couple retient de ces longs voyages, ce sont aussi les rencontres avec tous ces « héros de l'ombre » qui changent la planète à la force de leurs idées et depuis l'endroit où ils se trouvent. « En Inde, nous sommes par exemple allés dans le nord du Cachemire, sur le plateau himalayen, où nous avant rencontré un homme, Chewang Norphel, dit « Ice man » qui a conçu des glaciers artificiels afin d'adapter l'Himalaya au changement climatique et continuer de fournir les villages du Ladakh en eau. » Politiques, agriculteurs, archéologues, ingénieurs, femmes et hommes de bonne volonté ne manquent pas à l'appel de Frédéric et Carolina. C'est plein d'énergie qu'ils rentrent en France. « Au moment où l'ingénierie d'EDF et celle de Framatome se sont rapprochées, on m'a proposé un nouveau projet : celui de l'EPR optimisé, pour la Pologne. J'ai alors pris une nouvelle casquette, » raconte Frédéric qui, en 2016, décide de repartir avec sa femme, mais aussi sa toute jeune fille de deux ans et demi, explorer la planète. « C'était moins roots que la première fois, mais c'était toujours un peu l'aventure », s'amuse Frédéric qui poursuit : « Les mentalités avaient évolué et la question du climat était bien plus sur le devant de la scène ».
Au final, que retenir de ces nombreux voyages ? « Nous nous sommes rendu compte que les solutions existent, parfois depuis longtemps, et qu'il n'y avait pas forcément besoin d'innovations de rupture pour avancer. Mobilité et construction sont deux problématiques essentielles. Avec les pompes à chaleur et la géothermie urbaine par exemple, il existe des solutions efficaces. » La « green tech » ? Très peu pour Frédéric qui aime mettre en avant les solutions « low tech » ou de partage… « La crise actuelle est en train de nous le montrer. Nous devons consommer moins, être plus sobre, mais sans doute aussi vivre sur un rythme mois effréné. Aujourd'hui, il faut toujours aller plus vite, quelle ineptie ! En Hollande toutes les routes ont été limitées à 100 kilomètres / heure, au fond, c'est suffisant, non ? »
En savoir plus sur « One Climate One Challenge » >>
Son parcours en quelques dates :
2005 : Intègre Framatome comme responsable documentation sur l'EPR d'Olkiluoto en Finlande
2007 : Rejoint l'équipe de négociation du contrat de l'EPR de Taishan, puis s'expatrie deux ans à Shenzhen
2011 puis 2016 : Mène avec son épouse l'expérience « One Climate One Challenge » à travers le monde.
Depuis 2017 : Accompagne la transformation des systèmes d'information du nouveau nucléaire et travaille sur le projet d'EPR 2
été 2021 : Nouvelle expatriation au royaume-uni pour travailler sur les projets d'EPR anglais
Texte : Sophie Guichard