Estelle, 49 ans, est la nouvelle directrice générale de Cyclife, la plateforme industrielle d'EDF dédiée à la déconstruction et la gestion des déchets nucléaires en France et à l'international. Marraine du réseau Energies de Femmes en Rhône-Alpes, elle a su réaliser son rêve : une riche carrière dans un milieu technique et scientifique qui reste très masculin.
Dans cette terminale scientifique du Lycée d'Avesnes-sur-Helpe, petite commune proche de Valenciennes, elles ne sont que quatre filles dans une classe de 30 élèves. Parmi elles, Estelle, qui rêve un jour d'embrasser une carrière technique et scientifique. Pourquoi pas ingénieure ?
Explorer le monde par les sciences
Petite, elle est déjà curieuse du monde qui l'entoure : « Comprendre son fonctionnement, toucher du doigt les progrès apportés par la science, c'était un beau programme… » Mais Estelle a plusieurs rêves. Sa mère est professeure de danse et institutrice, son père, géomètre et arbitre de football, tous deux lui transmettent leurs passions sportives. Elle est ainsi initiée aux arabesques dès l'âge de 4 ans. Une passion pour la danse, sous toutes ses formes, qu'elle enseignera à son tour et qui la tient encore. Après le bac, Estelle se décide finalement pour une classe prépa à Valenciennes. « C'est assez naturellement que j'ai choisi le domaine scientifique et puis, à l'époque, la région du Nord encourageait les jeunes filles à se réaliser dans une carrière scientifique en leur distribuant des bourses dédiées… » Grâce à cette bourse, elle étudie à l'Ecole nationale supérieure des industries chimiques de Nancy, « par goût pour la matière, mais aussi parce que c'est une école de génie des procédés, où l'on étudie le fonctionnement global des usines, avec un volet technologique très fort. » Diplômée ingénieure, elle a envie d'enseigner et se lance dans une thèse à l'Institut français du pétrole.
POUSSER LA PORTE DES USINES
« Mon sujet portait sur l'incinération des ordures ménagères et l'impact de ces opérations industrielles sur l'environnement. Ce lien entre l'environnement et les installations industrielles sera l'un des fils conducteurs de mes postes futurs », se souvient Estelle. La thèse, cofinancée par EDF et sa filiale Tiru, lui permet de pousser la porte des usines et de travailler sur des problématiques technologiques très concrètes. Son doctorat en poche, elle intègre d'abord l'université de Compiègne et devient enseignante-chercheuse. « J'ai enseigné la thermodynamique, le génie chimique et le génie des procédés avec l'envie de transmettre et sans doute de susciter des vocations. Mais EDF m'a fait changer de voie ! » A cette époque, la R&D du Groupe développait à Chatou des laboratoires qui permettaient d'étudier le fonctionnement des centrales thermiques. « Il fallait mettre en place des installations « pilotes » qui ressemblaient à celle que j'avais conçue pendant ma thèse pour brûler des ordures ménagères, mais les faire fonctionner avec du charbon ou de la biomasse », raconte Estelle, qui est embauchée en 1998. Elle restera dix ans à Chatou, en changeant plusieurs fois de postes.
D'abord chercheuse dans le domaine du thermique à flamme - « Je travaillais alors beaucoup avec les exploitants des centrales du Havre et de Cordemais où l'on mettait en service des installations de désulfuration pour traiter les fumées », elle devient cheffe de projet en proposant de développer des solutions pour former les exploitants à ces nouveaux process. En 2002, elle pilote des études de sûreté long terme sur les stockages de déchets radioactifs.
« C'était nouveau pour moi. J'ai appris à manager avec moins de légitimité technique et à trouver d'autres ressorts pour fédérer un collectif ».
Petit à petit, elle prend ses marques et devient manager d'une vingtaine de chercheurs qui travaillent sur l'impact des ouvrages de production d'EDF sur l'environnement et la santé. En 2005, elle prend la tête d'un laboratoire d'hydraulique, « un grand hall d'essais avec des maquettes de barrages, de digues de protection de centrales nucléaires, d'hydroliennes… mais aussi des outils numériques 3D pour étudier notamment l'impact des crues ou de la houle sur les ouvrages de production d'électricité ». Après cette dernière expérience de trois ans à la R&D, elle a envie de s'ouvrir à plus d'opérationnel. Elle intègre la division combustible nucléaire.
" contribuer à l'acceptabilité du nucléaire "
« Je suis arrivée sur un poste qui intégrait des activités très variées : du technique, du contract management, de la finance. J'étais en charge de l'aval du cycle du combustible, le traitement des combustibles usés en provenances des centrales nucléaires et la gestion des déchets radioactifs », raconte Estelle qui a envie d'aller plus loin sur ces sujets sensibles pour l'acceptabilité du nucléaire « pour me forger une opinion scientifique solide, faire connaître les solutions existantes ou en cours de développement, enfin, les mettre en œuvre. » Son équipe négocie les contrats avec Areva pour le traitement du combustible usé à La Hague, et avec l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. Nous sommes alors en 2008, l'époque de discussions nourries entre EDF et l'Andra à propos du projet Cigeo. « Le choix du stockage profond comme de la solution de référence pour gérer les déchets à vie longue était fait de longue date, mais il y a eu énormément d'études sur le design de l'installation et sur son coût futur. » En 2014, Estelle rejoint le CEIDRE, aujourd'hui la direction industrielle d'EDF, et prend le poste de directrice adjointe management, performance et coordination : « C'était pour moi encore une nouvelle manière d'animer une direction et ses managers, en mettant notamment en place des démarches de lean management, de façon à améliorer et mesurer la performance de l'unité. »
savoir saisir les opportunités
« Une carrière qui se construit pas à pas, une prise de risque à chaque nouvelle étape qui fait avancer. J'ai aussi été soutenue dans ma carrière par des personnes qui m'ont fait confiance et m'ont accompagnée pour progresser, c'est important. »
Estelle se souvient ainsi de deux managers inspirants, qui lui ont donné envie d'oser. « À EDF, on a accès à une palette très large de métiers passionnants. Le Groupe nous donne cette opportunité. Parfois, les freins, c'est nous qui nous les mettons. Il faut oser ! » Pour donner envie aux jeunes femmes de rejoindre ce type de métiers, elle remporte en 2012 le Prix Fem'Energia, remis chaque année pour mettre en valeur le parcours de femmes dans le nucléaire : « j'ai eu envie à mon tour de devenir un repère, c'est important de montrer que ces carrières sont accessibles… »
Deux ans plus tard, Estelle change à nouveau de poste et devient directrice des projets déconstruction et gestion des déchets des réacteurs graphite au sein de la nouvelle direction des projets déconstruction et déchets, la DP2D. « C'est une technologie de réacteurs très particulière, il y en a six en France à démanteler. L'objectif était de piloter de manière très transverse le démantèlement de ces réacteurs avec un vrai challenge technologique car ce sont des réacteurs de première génération, très compliqués à déconstruire. » La mise en place de la toute nouvelle DP2D s'accompagne d'un complet changement de stratégie industrielle : « Nous avons remis les choses à plat, re-questionné les stratégies de démantèlement imaginées jusque-là, proposé de nouvelles technologies de démantèlement, un nouveau cadencement des chantiers. Il a fallu implémenter ce nouveau planning de travaux avec les équipes et aussi convaincre l'ensemble des parties prenantes du bien-fondé de cette nouvelle stratégie, un important travail de pédagogie et de conviction… ». Depuis, EDF a mis en place une filiale dont Estelle a pris la présidence, Graphitech, à 51 % EDF et à 49 % Veolia pour se donner les moyens de réussir ce challenge technologique. Le Groupe crée aussi une installation dédiée, un démonstrateur industriel, pour réaliser des tests de qualification avant de commencer un démantèlement. Des chantiers en cours sur tous les sites permettent d'évacuer les gros matériels périphériques aux réacteurs, d'assainir et démolir les anciens bâtiments. « Au final, l'Autorité de sûreté nous a indiqué, via les conclusions d'un audit, que nous avions fait les bons choix, c'est une vraie fierté pour nous. »
NOUVEAU DéFI
Le premier mars dernier, Estelle est devenue directrice générale de Cyclife, la plateforme industrielle d'EDF dédiée à la déconstruction et la gestion des déchets nucléaire en France et à l'international qui regroupe plus de 600 salariés. Elle devra développer ce segment d'activité à l'international : « C'est un secteur porteur pour EDF, le nombre de chantiers de démantèlement est en forte croissance. C'est une belle opportunité d'exporter les savoir-faire développés sur les chantiers français, notamment en Angleterre et en Allemagne. »
Un programme qui la passionne, mais ne lui fait pas oublier la danse ou le football. « Cela a toujours fait partie de mon équilibre, c'est aussi, pour le football, un plaisir partagé en famille, avec mes deux fils, cela permet de vivre des instants personnels et collectifs essentiels ». Elle évoque ainsi sa participation à l'EDF Cup 2019 avec l'équipe Déconstruction de la centrale de Saint-Laurent. Un grand moment pour la marraine du Réseau Énergies de Femmes en région Rhône-Alpes qui aime avant tout jouer collectif. Il faut aussi oser ensemble…
Son parcours en quelques dates :
1998 : Embauchée comme chercheuse à la R&D d'EDF à Chatou
2008 : Intègre la division combustible nucléaire
2012 : Lauréate du Prix Prix Fem'Energia
2014 : Rejoint le CEIDRE, en tant que directrice adjointe « management, performance et coordination »
2016 : Directrice des projets déconstruction et gestion des déchets des réacteurs graphite au sein de la Direction des Projets Déconstruction et Déchets
2019 : Prend en parallèle la présidence de Graphitech
2021 : Devient Directrice générale de Cyclife
Texte : Sophie Guichard / Photo : EDF© Nicolas Gouhier