Cela s'est concrétisé pour les trois... « Nous étions trois enfants, plutôt doués en maths, malgré notre jeune âge. Comme lui, nous voulions, devenir ingénieurs. » , ajoute celle qui grandit à Casablanca au Maroc, entre une mère institutrice et un père ingénieur.« Sage et studieuse »Ahlam Ennouhi se souvient qu'elle était une enfant sage.
De Casablanca à Tarbes
de la prévention des risques industriels
Qu'à cela ne tienne. Elle intègre donc l'école polytechnique de l'Université de Grenoble, qui propose une formation à la fois plus généraliste et concrète. « Il y avait une filière qui m'intéressait particulièrement : la prévention des risques industriels. Pour moi, c'était du concret et cela avait tout son sens. L'industrie n'est pas sans risques, comment les prévenir ? Comment protéger riverains et salariés ? Ces questions me passionnaient... ».
Des risques technologiques à la toxicité, de la biodiversité aux cours de médecine, en passant par la radioprotection et la sûreté des installations, Ahlam apprécie la richesse de cette formation qui lui permet d'intégrer différents secteurs industriels. À Grenoble, elle vit chez l'habitant. « Je m'occupais d'une dame âgée atteinte de la maladie d'Alzheimer trois nuits par semaine. C'était pour moi une opportunité de joindre l'utile à l'agréable et aussi de me montrer serviable dans mon nouveau pays... » Après un premier stage chez Bureau Veritas, elle se tourne vers EDF.
UNE MAROCAINE DANS LE VERCOS
Pour son deuxième stage, Ahlam choisit l'hydraulique. Elle intègre le Groupe d'exploitation Ecrins-Vercors, qui regroupe une vingtaine d'usines hydrauliques pour y réaliser des audits environnementaux. « C'était mon premier contact avec le secteur de la production d'électricité. J'ai été étonnée par la beauté de ce paysage si dense et si vert. J'ai adoré cette mission. » En 2010, changement de secteur pour un troisième stage, cette fois chez Renault sport F1. « Une expérience inoubliable, mais aussi un grand virage dans mes missions : je devais assurer la sécurité et la sûreté sur la piste... » Peu convaincue par ce secteur très masculin et aussi « très tape à l'œil », elle rêve de rejoindre de nouveau EDF.
Elle postule donc en ligne pour un poste d'ingénieure en prévention des risques à la direction de la production hydraulique, sur le site de Cap Ampère. « J'ai finalement été embauchée en 2010. J'ai alors découvert Paris. Arriver dans la capitale aura été un sacré challenge ! » Elle se retrouve dans une chambre de bonne... en face du siège d'EDF, avenue de Wagram. « Je découvrais la vie d'agent EDF. J'étais étonnée du processus de recrutement, avec une année de stage. Mais j'ai compris aussi que le statut des IEG était particulier, avec de nombreux avantages. J'étais surtout fière de travailler pour un groupe qui a des missions de service public. » Ingénieure en maîtrise des risques opérationnels, elle anime aussi le réseau des préventeurs et établit procédures et outils, pour accompagner les unités de production hydraulique sur le terrain. Au bout de trois ans, en 2013, EDF Renouvelables, qui vient de remporter l'appel d'offres du projet de parc éolien de Taza, dans le Nord-Est du Maroc, pense à elle.
DIRECTION TAZA
« J'étais très reconnaissante envers le Groupe de m'avoir intégrée bien que je sois étrangère, c'était pour moi le moment de rendre la pareille sur un terrain, dans mon pays », raconte Ahlam qui saisit l'opportunité d'accompagner le développement de ce grand projet de parc éolien. Il faut dire que le Maroc a de grandes ambitions en matière de renouvelables. « Ce projet est un projet royal ». Il s'inscrit dans le cadre de la stratégie nationale du royaume et dans celui de partenariat public-privé : il y avait alors une vraie ambition pour développer les renouvelables au Maroc. Nous avons ainsi bénéficié de l'appui des autorité locales, souligne-t-elle. Si EDF est présent au Maroc depuis 1997 – « via une filiale de représentation », la filiale EDF Renouvelables, elle, se met en place en 2012. « J'étais la deuxième salariée recrutée sur place et j'ai donc pu toucher à tout jusqu'à la constitution de l'équipe. Pour Taza, ma mission était de m'assurer que le déplacement des populations allait s'effectuer conformément aux standards internationaux dans l'optique d'atteindre le bouclage financier du projet et d'obtenir les permis et autorisations nécessaires pour le projet ». De consultations publiques en réunions avec les populations locales, c'est maison par maison, qu'Ahlam conduit l'enquête. « Il a fallu connaître les besoins de chacun pour se reloger et restaurer les moyens de subsistance, mais aussi établir les documents de propriété souvent manquants. ».
Le processus, s'étale sur huit ans. Huit années pendant lesquelles elle œuvre aussi pour le développement de nombreux projets, tel celui de la première tranche du projet solaire de Noor Midelt, un projet de 800 millions d'euros pour 800 MW, ce qui en fait le plus grand complexe solaire multi-techniques au monde. « Aujourd'hui Responsable développement durable de la filiale, je veille au déploiement de la politique RSE du groupe EDF au Maroc, la conduite des études d'impacts et études socio-économique et des plans de développement local pour les projets en cours où je suis aussi l'interlocutrice des autorités et populations locales. Je m'occupe aussi des permis et autorisations nécessaires pour le compte des équipes à Paris », explique Ahlam, qui, il y a un peu plus d'un an, se retrouve confinée chez elle à Casablanca pour poursuivre ses missions.
UNE FEMME EN JEAN T-SHIRT SUR UN CHANTIER, c'est possible
« Un peu comme la France, nous avons ici vécu au rythme du confinement total, puis du confinement partiel, du déconfinement progressif, du reconfinement... Il a fallu s'adapter et faire en sorte que les projets se poursuivent sans retard. » Début 2020, elle décide de se porter volontaire auprès de la Fondation groupe EDF pour effectuer du mécénat de compétences sur le terrain.
La mission de la Fondation ? Installer, en partenariat avec l'association EauSoleil, à près de 2 000 m d'altitude, dans les villages berbères isolés de Taldight et d'Iggou deux pompes photovoltaïques fonctionnant au fil du soleil. Elles sont raccordées au réservoir et à l'adduction d'eau qui va jusqu'aux maisons. « Taldighit, le premier village, avait déjà son puits, mais les fillettes de 4 à 17 ans devaient, à l'aide de cordes, de bidons et de seaux, remonter manuellement l'eau, plusieurs fois par jour, puis porter les bidons de 5 litres sur leur dos jusqu'aux maisons. Le deuxième village Iggou, encore plus isolé, à 3 ou 4 heures de marche plus loin, disposait quant à lui d'une source d'eau et c'est à dos de mulet que l'eau était ramenée au village », raconte-t-elle. Avec la pandémie, impossible pour les salariés bénévoles français de venir depuis la France. C'est Ahlam qui se rend seule sur place sur le chantier. « J'ai pris l'avion jusqu'à Agadir, puis j'ai loué un 4 X 4. Quand je suis arrivée, tout le travail de raccordement était déjà fait. Les habitants ne voyaient pas forcément d'un bon œil la venue d'une femme. Mais quand je suis arrivée, j'ai senti le regard brillant des petites filles posé sur moi : c'était donc possible, une femme en jean T-shirt au milieu des hommes sur un chantier ! Une fois au travail avec les techniciens, ils n'ont plus mis en doute mes compétences. Leur regard a changé. »
changer la vie des gens
Le métier d'Ahlam pour ces jeunes femmes berbères ? « Cela représentait pour elles quelque chose d'inaccessible. À 17 ans, elles attendaient toutes d'être majeures pour pouvoir se marier... »
« Cette mission, cela a aussi été pour moi une façon de leur montrer qu'il y a d'autres voies, que cela passe aussi par l'éducation. »
« Tout ce temps qu'elles n'auront plus à puiser l'eau, elles pourront le passer à lire, à se cultiver. » À Taledight pourtant, il n'y a pas d'école, « juste une classe informelle ne relevant pas de l'Education nationale. Les choses changent dans les grandes villes, dans ces villages reculés, c'est différent », témoigne Ahlam qui garde aujourd'hui contact avec ces jeunes filles, qui pour certaines, « rêvent de tenter leur chance en ville, prêtes à faire des petits boulots ». Le soir, après une journée de chantier, elle est devenue plus qu'une oreille, un modèle pour elles.
« Elles me disaient que j'avais beaucoup de chance de pouvoir faire ce que je fais aujourd'hui, d'avoir eu l'accès à l'éducation, à l'emploi. Cela fait mal et chaud au cœur à la fois. Aujourd'hui je suis bien consciente que mon métier me permet de faire évoluer la vie des gens. C'est quelque chose qui me touche de les aider. Si mon énergie peut être communicative... »
Son parcours en quelques dates :
1986 : Naissance à Casablanca
2009 : Stage chez EDF au GEH Ecrins-Vercors
2010 : Embauchée par EDF comme ingénieure en prévention des risques à la direction de la production hydraulique à Cap Ampère
2013 : Intègre EDF Renouvelables Maroc
2019 : Devient Responsable du développement durable d'EDF Renouvelables Maroc
Texte et Photo : Sophie Guichard