

Architecte lumière d'EDF, Huguette Annas habille les bâtiments à la tombée de la nuit. « Chef d'orchestre entre la partie innovation et faisabilité d'un projet d'éclairage », elle a signé la mise en lumière de bâtiments d'exception.
Qu'est ce qu'une mise en lumière réussie pour vous ?
Une mise en lumière doit conjuguer plusieurs paramètres : d'abord maîtriser la consommation d'énergie ; ensuite éclairer de manière juste, sobre et durable. Ne plus éclairer tout à fond et intégrer le bâtiment dans son environnement. Enfin, une mise en lumière n'a pas vocation à être dupliquée partout. C'est un projet identitaire qui représente la ville en éclairant un symbole, un projet fort.
Vous avez mis en lumière deux édifices emblématiques de la Ville de Marseille. Quelle a été votre démarche ?
Pour l'éclairage de bâtiments historiques comme le Palais Longchamp ou la cathédrale de la Major, nous avons travaillé avec des architectes des Monuments historiques, des Bâtiments de France, la Drac, etc. Préserver le bâtiment, ce qui implique des systèmes de pose spécifiques, des approches cadrées par les responsables du patrimoine. Plusieurs réunions avec la maîtrise d'ouvrage ont été nécessaires pour bien cerner les attentes du client. Pour le Palais Longchamp, un ancien château d'eau du 19e siècle complètement rénové, il a d'abord fallu dépolluer le site, enlever les lumières superflues, agressives. J'ai ensuite travaillé dans le détail, par touches de lumière posées sur les vasques, la fontaine monumentale, l'architecture en dentelle. Mettre en lumière c'est faire entrer l'ombre dans son projet, privilégier la notion de contraste, le respect des équilibres de luminance. Ces illuminations ont été conçues pour être pérennes et économes en énergie. Grâce aux LED de dernière génération, leur consommation a été divisée par onze.
Justement, comment jugez-vous les innovations apportées par les nouvelles techniques d'éclairage ?
Les systèmes d'éclairage sont beaucoup plus performants. La technologie LED s'est beaucoup améliorée. Les ampoules n'attendent plus vingt minutes pour monter en température et permettent de choisir des températures de couleur plus finement. Mais surtout, les LED permettent de travailler sur des objets connectés, chose impossible avec des lampes à décharge. Nous entrons dans une ère nouvelle où tout le monde se pose la question des « smart city », autrement dit, comment l'éclairage va servir les usagers d'une ville. Toutes ces innovations rendent l'éclairage presque anecdotique et ouvrent le champ des possibles. Elles exigent aussi plus de technicité informatique, de bien penser chaque projet d'éclairage.
Comment accompagnez-vous ces projets d'éclairage intelligent ?
Lorsqu'une commune est intéressée par ce type de technologie, la R&D nous aide à réfléchir à comment passer d'une idée à une application « designée » pour le projet. C'est un travail d'équipe, de la programmation digitale des édifices et des territoires. Pour la partie conception, nous travaillons sur un périmètre très précis. Il faut prendre la plume, organiser un cahier des charges qui est un projet de gouvernance. Les installations doivent être maîtrisées en termes de consommation d'énergie aujourd'hui et demain. Écrire un cahier des charges dès le départ pour la maîtrise d'ouvrage est une aide indispensable pour faire les bons choix en matière d'investissement.
La recherche d'efficacité énergétique implique de nouvelles contraintes dans votre pratique professionnelle ?
Elles ont toujours existé. Dans la programmation financière d'une opération, l‘éclairage est le dernier lot. Or, les incidents liés aux précédents lots se répercutent sur les derniers et rognent les budgets en bout de ligne. Par ailleurs, on pense à tort qu'éclairer ne coûte pas très cher. Mais, dès lors qu'il y a un peu de technologie, les coûts peuvent grimper si l'on n'y travaille pas. Nous privilégions une approche en coût global qui comprend les investissements matériels, les consommations d'énergie et la maintenance sur une durée minimale de 5 ans. Pour mieux guider nos clients, nous proposons une première enveloppe budgétaire pour un projet classique ; une deuxième pour un projet équipé de lumières connectées ; puis une troisième pour un projet intermédiaire avec des lumières connectées là où il en faut, activées au bon moment. Cela permet des allers retours avec la maîtrise d'ouvrage et in fine de se rendre compte du coût réel et global du projet.


ZOOM SUR L’ÉCLAIRAGE D’UN ECO-QUARTIER
Pour éclairer un éco-quartier, je commence par poser la question de l’identification du quartier en tant que tel dans le tissu urbain : à quoi reconnaît-on l’éco-quartier ? Doit-il être identifiable de loin ? Quel type d’éclairage mettre en œuvre depuis l’accès de la rue jusqu’au pied de l’immeuble ? Certains projets sur lesquels je travaille actuellement intègrent des objets connectés. Ils vont équiper des aires de jeux, des agréés pour faire du sport et permettre par exemple de calculer les kilos perdus. Je vais essayer de trouver des éclairages ludiques pour les enfants sur les aires de jeux sans oublier les parents, installés sur les bancs, qui pourront envoyer et recevoir des informations, profiter de ce moment de plein-air pour lire la presse via des éclairages en LIFI, etc. Les éclairages LED vont moins consommer qu’une lampe à décharge et avoir une double fonction : apporter de l’information, permettre de baisser les stores ou le chauffage depuis le pied d’un immeuble, donner l’heure de passage du prochain bus. Ces éclairages permettent aussi de mettre en veille des luminaires qui normalement devraient fonctionner à 100% de leur flux. Si personne ne passe dans une allée, l’éclairage est mis en veille. Il s’ajuste en fonction du trafic et nous permet d’économiser l’énergie tout en luttant contre les zones noires.